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3-3: Une production contemporaine riche

Si on compare la situation dans laquelle était le Japon quand Bashô  écrivait des haïku  que l’on admire encore aujourd’hui, et le Japon actuel, ouvert au monde, urbanisé à l’extrême, champion du capitalisme offensif, à la fois champion de la vieille industrie traditionnelle et des technologies les plus avancées, vivant dans une démocratie avancée, aux jeunes à la pointe de la mode futuriste, et ayant essuyé les conséquences de leur implication dans la seconde guerre mondiale jusqu’aux traumatismes de Hiroshima  et Nagasaki , on ne peut que s’interroger sur ce qui peut avoir constitué un socle suffisamment constant pour expliquer la pérennité de ce genre littéraire.

Car pérennité il y a.

Et comme les exemples et les témoignages présentés ci-dessus ont tenté de le montrer, le haïku  est toujours un genre littéraire populaire, autant pour l’œuvre des maîtres des temps passés, que pour la production contemporaine qui se nourrit d’un environnement complètement différent.

 

Ill.  52 : Rue Takeshita - Tokyo  - 13/08/08 (photographie de l'auteur)

On donnera quelques exemples de cette production du vingtième siècle dans les paragraphes suivants. Mais il est intéressant de se demander ce qui rapproche Bashô  écrivant sur son « vieux étang » {2.2.1 }, et Ishihara Yakka  sur la destruction d’Hiroshima  {3.3.2 }.

Au-delà de la forme, que l’on a discuté précédemment, de la nécessaire élégance qui caractérise le bon haïku , je crois qu’un des éléments importants, et de l’attrait, et de la beauté d’un haïku, c’est qu’il nous montre la beauté des détails qui nous entourent, que ce soit des éléments naturels, ou qu’ils soient le résultat du génie humain. C’est la capacité de s’émerveiller des petites choses, simplement, naïvement, et peut être de trouver dans ces éclairs de perfection matière à nous émerveiller de l’ensemble.

Et même si je ne prétends pas en être sûr pour ce qui caractérise réellement la perception des haïku  japonais par des Japonais, je pense que la possibilité que ces quelques lignes nous servent de catalyseur pour des réflexions plus générales, voire universelles, pour ne pas dire métaphysiques, n’est pas étranger à notre intérêt pour  ce genre. Et c’est peut être pour cela que certains auteurs contemporains, comme on va le lire dans ce qui suit, utilisent la force de cette poésie pour exprimer des idées, des convictions ou des témoignages, comme si cette poésie de la nature se transformait en outil politique.

Et puis, comme au-delà de l’analyse ce qui compte, c’est le plaisir de savourer les haïku , j’en ai retenu quelques-uns de la belle anthologie réalisée encore une fois par Corinne Atlan(76) et Zéno Bianu(77) [5.2.1.9 ]. Ils sont présentés ci-après par saison.

 

3-3-1: Haïku d'aujourd'hui: Printemps

 Dans cet amas de cristal

Les premiers signes                  

Du printemps

Ozawa Minoru(78)

Aux poignées suspendues du métro

Les zombies du mois d’avril

Accrochent leurs mains(79)

Hoshinaga Fumio

Tokyo  en mai –

Un serpent d’acier

En incubation

Hoshinaga Fumio

Etoiles sur les sommets –

Le village aux vers à soie

Dort en silence

Mizuhara Shûôshi(80)

 

Neige en pétales de pivoines –

Cette-nuit-là

L’odeur de ma femme(81)

Ishida Hakyô

 

Boue de printemps –

«  c’est le siècle des femmes »

A ce qu’ils racontent

Shiraishi Tsukako (82)


 

Même derrière les barreaux

On peut souffler

Des bulles de savon(83)

Hirahata Seitô

 

Il pleut des cordes –

Un chat avance

Son petit dans la gueule

Katô Shûson(84)

Pruniers blancs –

Le ciel s’effondre   la terre s’effondre

L’espace s’effondre (85)

Nagata Kôi

Parmi les arbres en bourgeons

Le noir

De la locomotive à la retraite

Chiba Kôshi (86)

Les azalées flamboient ---

Tout ce qui vit

Va vers la mort

                  Usuda Arô (87)


L’éclair

Dans les pupilles du faisan

vendu

Katô Shûson

 

 

Ill.  53 : Tokyo , parc de Shinjuku Goyen (photographie de l'auteur)

 

3-3-2: Haïku d'aujourd'hui: Eté

 

Moisson du blé –

Je tremble au souvenir

De ma ville en flammes (88)

Terayama Shûji

Nuit trop brève –

Et si je l’abandonnais

Ce bébé qui pleurniche ? (89)

Takeshita Shizunojo

 

Plus épaisse que du sang

L’eau qui relie

Les rizières inondées

Tsuda Kiyoko (90)

Silencieux

Dans la nuit qui tonne –

L’ascenseur

Saitô Sanki (91)

 

Sans parti pris

Le marchand de glace

A hissé son drapeau (92)

Ozawa Minoru (77)

 

Terre de la bombe atomique –

Dans ces brumes d’intense chaleur

L’enfant a disparu

Ishihara Yakka (93)

Après l’émission-souvenir

Sur la fin de la guerre

Je fais cuire une pizza

Yoshimura Ikuyo (94)

J’ai regardé le ciel

La pluie est tombée dans ma bouche –

Anniversaire de la Bombe (95)

Suzuki Shin’ichi

Ill.  54 : Flamme allumée à Hiroshima  - Temple Toshogu - Parc ueno - Tokyo  - 11/08/08 (photographie de l'auteur)

Araignée de la nuit –

Un jeune homme

Affûte son couteau

Terayama Shûji
 

Respirer ?

C’est aspirer toutes les voix

Des cigales du soir

Kaneko Tôta (96)
 

Fleurs de paulownia –

Tant d’années enfuies

En un éclair !

Tagawa Hiryoshi (97)

Fleurs d’hortensia

Toujours plus alanguies –

Tu es enceinte!

Shinohara Hôsaku (98)

 

Dans cette pêche blanche

J’enfonce ma lame

Comme dans une chair

Susuki Masajo (99)

 

 

3-3-3: Haïku d'aujourd'hui: Automne

 

Dans le froid du matin

Ma fille me suit –

Ses doigts agrippés aux miens (100)

Mayuzumi Shû (101)

Elles effacent à l’instant

La trace de mes pas –

Vagues d’automne

Mayuzumi Madoka (102)

Couchant d’automne –

Des bouteilles vides

Empilées avec adresse

Nakahara Michio (103)

Ciel bleu des origines –

Ma femme

Me tend une pomme (104)

Nakamura Kusatao (105)

Ma femme –

Elle porte notre enfant

Pareil à la lune croissante

Nakamura Kusatao
 

Vent d’automne –

De ce que voit le coq

Je ne sais rien

Katô Shûson (83)

 

Est-ce le son du brouillard –

Presque imperceptible

Entre les bouleaux ? (106)

Mizuhara Shûôshi (79)

Riz aux champignons –

Ne reste que la part

De ma mère morte         

Koga Mariko (107)

Fête sportive –

Toutes des cuisses

De beautés innocentes ! (108)

Akimoto Fujio (109)

 

Midi d’automne –

Dans la ruche

Le bruit du pas des abeilles (110)

Usami Gyomoku (111)

Le criquet

Regarde intensément

Le profond de la terre (112)

Yamaguchi Seishi (113)

Rouge sans fond des érables –

Impuissant

Les larmes m’envahissent (114)

Takahama Kyoshi (115)

 

Par-delà le bleu nuit

Des volubilis

Passent (116) les jours et les mois (117)

Ishida Hakyô (118)
 

Exilée –

Le piment rouge

Me brûle la langue

Kagiwada Yûko (119)

Ill.  55 : Parade à Ikebukuro - Tokyo  - Octobre 2007 (photographie de l'auteur)

3-3-4: Haïku d'aujourd'hui: Hiver

L’hiver à nouveau –

Même dans les mots glacés

Des visiteurs

Sumitaku Kenshin (120)

 

De l’autre côté du lac

Les cent huit coups

De la cloche du Nouvel An (121)      

Takada Masako (122)

 

Bonne Année !

Seule la télévision

Me la souhaite

Sumitaku Kenshin
 

Nuit de givre –

En la prenant dans mes bras

Je l’entends vibrer

Ozawa Minoru (77)
 

Seuls sont jeunes

Mes amis morts à la guerre –

Stalactites

Mitsuhashi Toshio (123)

Sainte Nuit –

Chute de neige

En post-scriptum

Mayuzumi Madoka (101)

Neige à la fenêtre –

Une femme dans un bain bouillant

Qui déborde

Katsura Nobuko (124)

 

Le bruit de la cascade

Se fige –

C’est la fin de l’année (125)

Fukuda Kineo (126)

 

De la lande noire

Une nuée de corbeaux décolle –

Comme un gang de voleurs (127)

Harako Kôhei (128)

 

Parti en mer

Le vent hivernal

Ne sait où revenir (129)

Yamaguchi Seishi (112)

Je la retourne –

La grosse bûche

Est en feu

Takano Sujû (130)

Pas un souffle

Si ce n’est celui des vipères

En hibernation

Kaneko Tôta (131)

 

Alignées sur l’autel

Couleur rouge de honte

Poupées de la fête des Petites Filles (132)

Yagi Mikajo (133)

 

Baroque

La chouette ulule

Dans la forêt des buildings

Yamagishi Ryûji (134)

 

Au retour de ce film russe

J’ai remarqué la taille

Des grosses carottes d’hiver

Furusawa Taiho (135)

Fougères d’hiver –

Est-ce un rêve

Ou le souvenir d’un rêve ?

Aoyagi Shigeki (136)

 

 

 

  

Ill.  56 : Tokyo  détruite en 1945

Décombres de la guerre –

Sur un sol en ciment

Des fillettes jouent à la balle (137)

Nakamura Kusatao (138)

 

 

3-3-5: Haïku d'aujourd'hui: Hors saison

 

Le mot-saison, le kigo  traditionnel avait pour rôle d’ancrer l’homme et ses activités au sein de la nature et de ses phénomènes, de placer donc l’instant dans la plénitude du génie humain en relation avec son environnement. Pour exprimer ce qui est « hors » de la sphère humaine, en particulier la rage contre les aventures militaristes, les auteurs de haïku  ont utilisé le poème « hors saison » pour bien en marquer la différence.

 

L’ouverture du Japon au monde, son extension du nord au sud, des terres toujours en hiver, aux terres qui vivent un été permanent, a conduit à changer la nature même des saisons, à les confondre les unes avec les autres, et donc, ici aussi, à nécessiter de recourir au poème « hors saison » pour exprimer dans ce nouveau contexte l’image et l’émotion.

 

Ci-dessous, une sélection de poèmes « hors saison » de la référence [5.2.1.9 ].

Un océan de requins

Laisse passer

Des bananes vertes

Sugimoto Kajin (139)

 

Dans un coin de mon ventre

Il y a le ciel          

De Pearl Harbour

Takahashi Shizumi (140)
 

Le char de guerre avance –

Il écorche la terre

A grand fracas (141)

Mitsuhashi Toshio (142)

La mitrailleuse (143)

Eclosion d’une fleur rouge (144)

Au milieu du front

Saitô Sanki (90)

Chandelles à la main

Ils se sont séparés –

Les insurgés

Abe Kan’Ichi (145)
 

Un jeune homme vient

En toute innocence

Pour poignarder

Abe Kan’Ichi

 

Dans le bleu Picasso

Un jeune homme

Qui souffre

Mitsuhashi Toshio
 

Seulement ce chemin

Où je marche seul (146)

Taneda Santôka (147)

 

 

Juste avant le grand tremblement de terre

Tout le monde

A rêvé (148)

 

Sugiura Keisuke (149)
 

Ill.  57: Kobé  - séisme du 17/01/1995

 

 

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