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L'abri orné de Le Val

Un essai d'interprétation

 

La pierre comme support d'une pensée

 

Madre de los metales, te quemaron,

Te mordieron, te martirizaron,

Te corroyeron, te pudrieron,

Mas tarde, cuando los idolos

Ya no pudieron defenderte.

Pablo Neruda, Canto general

Support et symbolisme des peintures de Gueillet

L'impact de l'agriculture sur les conceptions religieuses
    Les peuples chasseurs
    La découverte de l'agriculture et la sédentarisation
   
La découverte des métaux

Les représentations rupestres comme témoins d'une culture
    La vallée des merveilles
   
La vallée du Caramy
    Correspondance sujets-époque

Essai de datation des peintures de la roche de Gueillet
        

 

 

 

Support et symbolisme des peintures de Gueillet

Les premières peintures rupestres découvertes datent du paléolithique et s'étendent à partir de -50 000 ans dans une grande partie de l'Europe Centrale et Occidentale, de l'Oural à l'Atlantique. Elles sont toujours réalisées dans des grottes inhabitables et dans des lieux difficilement accessibles, comme si leur exécution nécessitait un certain secret ou une certaine intimité avec la nature , la terre. Pour arriver devant les parois de la grotte de Niaux ou de celle des "trois frères", il faut parcourir des centaines de mètres; à Lascaux, on accède à la galerie inférieure - où se trouve un des chefs d'œuvre de l'art paléolithique - en descendant par une échelle de corde un puits de six mètres trente de profondeur. Sur un plan plus modeste peut-être, les peintures de l'Age des métaux du Caramy - sur la commune de Tourves, à 15 km de Le VAL - ont souvent été exécutées dans des parties difficiles d'accès de grottes inhabitables situées elles-mêmes dans une vallée encaissée et sauvage dont l'accès est, et devait être, difficile et qui ne peut servir à l'agriculture. Le caractère sacré et initiatique, voire magico-religieux de ces peintures ne fait plus de doute, et dans le cas des peintures paléolithiques l'expérience est rendue possible par l'observation des derniers peuples chasseurs et primitifs d'Afrique ou d'Australie, les pygmées Bambouti ou les Bochimans par exemple qui présentent des croyances magico-religieuses similaires.

Ainsi l'abri de Gueillet, ouvert à tous les vents, visible de toute la vallée large et fertile qui s'étend à ses pieds, s'écarte fondamentalement de tous les sites que nous avons cités précédemment, en ayant perdu ce caractère numineux qui les caractérisait. Si les peintures paléolithiques peuvent être interprétées comme étant des supports pour des rites initiatiques avant la chasse ou lors du renouvellement de l'année, initiation qui chez tous les peuples demande un certain mystère et l'exécution d'épreuves diverses - dont l'accès aux salles ornées pouvait constituer l'une d'elles - avant de pouvoir pratiquer le rite proprement dit, on peut écarter ici cette hypothèse; encouragé en cela par le corpus lui même de figures qui ne comporte aucune scène de chasse ou de caractère initiatique. Les peintures de la haute vallée du Caramy, ou celles des gorges d'Ollioules, présentent elles ces caractères, que ce soit pour des rites en rapport avec la chasse comme dans la grotte Chuchy, ou des rites ayant rapport à la fécondité dans la grottes Schello. Ainsi l'abri de Gueillet s'écarte des sites du paléolithique connus et des autres sites régionaux des tous débuts de l'Age du bronze. Au contraire des autres sites, celui-ci semble avoir été choisi spécifiquement du fait de sa situation, visible de tous à tout moment, comme l'église majestueuse moyenâgeuse pour les chrétiens.

Ce caractère non initiatique implique une autre conception de l'art, il ne s'agit plus en effet de représenter le plus fidèlement possible des scènes de la vie quotidienne, mais d'arriver à symboliser des constructions de l'esprit même, toute une croyance, une religion. Ainsi on voit apparaître le besoin de styliser à l'extrême les images caractérisant telle ou telle croyance, pour que l'on puisse oublier la réalité simple et triviale portée par le sujet, pour s'attacher à la signification religieuse du symbole qui transcende la vie de tous les jours. Les schémas adoptés, les méthodes de dessins doivent donc être standardisés pour éviter une seconde lecture de l'œuvre, un rattachement du motif à tel ou tel moment de la vie de la tribu. Les femmes et les hommes sont donc représentés uniquement par ce qui les caractérise, ce qui les différencie des autres symboles utilisés pour éviter la confusion; les visages, sauf dans des cas très particuliers ne sont pas dessinés, ce qui permet de "dépersonnaliser" le sujet. L'exemple des animaux, et surtout des animaux à cornes est à cet égard intéressant; ce sont les cornes qui représentent la force et la virilité qui sont peintes avec emphase alors que le corps devient secondaire. Ce choix est d'ailleurs caractéristique de nombre de représentations rupestres et se retrouve dans des lieux très éloignés géographiquement. 

Une telle sobriété des traits, si elle est la preuve d'une pensée religieuse déjà élaborée et conceptuelle, nous cache néanmoins l'essentiel de la signification du symbole et rend plus difficile notre compréhension de la culture des artistes. C'est ce symbolisme extrême qui a été adopté par ceux qui ont réalisé les peintures de l'abri de Gueillet; symbolisme qui se rapproche de ce que l'on trouve dans la vallée du Caramy, mais surtout dans la Vallée des Merveilles dans les Alpes-Maritimes - on notera néanmoins que dans ces deux cas des scènes réalistes sont aussi représentées.

L'impact de l'agriculture sur les conceptions religieuses

Les peuples chasseurs:
Jusque vers la fin de l'époque glaciaire, c'est à dire vers - 80 000 ans, les rigueurs de climat n'ont pas permis à l'homme de découvrir l'agriculture et de se lancer dans la formidable histoire de son perfectionnement. Les civilisations d'alors étaient essentiellement des civilisations de chasseurs, ce qui leur imposait une mobilité importante et interdisait toute sédentarisation. La vie n'était possible que par le combat, combat perpétuel entre l'homme  et l'animal qu'il devait traquer au fin fond des forêts. Cette lutte permanente de l'homme contre une nature à la fois hostile et pourvoyeuse de vie, cet antagonisme homme-animal, vie-mort, ne pouvait que marquer profondément les conceptions magico-religieuses ou métaphysiques de ces peuples et créer des édifices spirituels originaux. Une des idées maîtresses était sans doute l'assimilation de l'acte de chasse à un acte sacré, ou du moins nécessitant l'intervention du sacré. Cela, bien qu'il faille considérer avec précaution les rapprochements ethnographiques, est toujours attesté dans les tribus actuelles de chasseurs-cueilleurs; l'acte de chasse, acte générateur de vie et de mort, est un acte sacré demandant une préparation, une initiation afin de ne pas contrarier les dieux de la chasse ou le seigneur des fauves qui pourraient alors faire disparaître la seule ressource de la tribu. Ces initiations pouvaient revêtir diverses formes selon les particularités locales, mais il semble que le rite du "carnaval" fut assez répandu. Rite du carnaval qui consiste en le mime d'une scène de chasse sous la direction d'un chaman ou d'un sorcier afin de purifier l'âme du chasseur et l'âme de l'animal sacrifié, puisque sacrifice réel il y aura. Cette personnification, ou plutôt l'humanisation de l'animal qui en découle ne doit pas surprendre dans un tel contexte; l'extase chamaniste, attestée sur les cinq continents, implique à la fois de posséder, c'est à dire d'entrer dans le corps d'autres humains ou animaux, et d'être possédé. Ces croyances sont loin d'avoir disparues, et elles se perpétuent même chez des civilisations de chasseurs "évoluées"; dans son fameux livre "Derzou Ouzala", Vladimir Arseniev nous décrit ainsi un chasseur sibérien, guide et ami du géographe, parlant aux animaux, au seigneur des fauves, et les désignant sous le vocable collectif d'hommes. A coté de ces rites liés à la chasse, il est certain que l'homme paléolithique avait d'autres problèmes d'ordre métaphysique dont l'élaboration d'une cosmogonie, mais les matériaux qui nous sont parvenus sont encore trop fragmentaires pour que nous puissions arriver à la comprendre.

La découverte de l'agriculture et la sédentarisation
La découverte de l'agriculture fut sans doute la révolution la plus importante qui ait jamais frappé l'humanité. Elle a permis la sédentarisation des hommes et une certaine indépendance vis à vis des problèmes matériels alors qu'elle réclamait en même temps une étroite collaboration entre les hommes. Des villes se sont construites, l'homme est devenu social, inventeur, et l'arc, l'araire, la céramique et la poterie ont fait leur première apparition. C'est l'époque où les premières grandes civilisations naquirent. Mais elle a aussi apporté avec sa dot, la richesse et l'envie, avec le besoin de territoires cultivables, la conquête armée des meilleures terres et la guerre. Enfin elle a substitué à l'ancien ordre basé sur la force physique un nouvel ordre social qui permettra la construction des civilisations et des états, et qui sera, si l'on en croit Jean-Jacques Rousseau, l'origine des inégalités.
Son incidence sur les problèmes métaphysiques fut tout aussi importante et a remis en cause bon nombre d'interprétations et de croyances. Le fait le plus notable est d'abord la prépondérance nouvelle de la femme et de la féminité en général, et ce pour deux raisons. La première vient du fait que puisque les hommes étaient essentiellement préoccupés par la chasse, ils n'avaient pas le temps matériel de récolter, sélectionner et planter des graines; ainsi la découverte de l'agriculture - si on peut excuser ce terme de "découverte" qui semble ramener indûment à un instant le lent processus qui a conduit à l'agriculture - est certainement l'œuvre des femmes qui disposaient de plus de temps et qui accédèrent à une nouvelle position sociale: possession des terres, sociétés matriarcales, séparation à l'intérieur des foyers de l'homme et de la femme, ....
La seconde raison est plus importante pour notre propos et est essentiellement d'ordre métaphysique. L'homme s'est toujours posé des questions sur ce qui l'entoure, et c'est cette capacité qui lui a permis sans doute de se développer de manière fantastique. Une fois que l'agriculteur a planté ses graines, il est concevable par analogie avec la conception humaine, que celles-ci produiront des fruits. Et ce n'est certainement pas une analogie purement théorique que l'on peut faire à une époque où les mécanismes de la reproduction sont parfaitement connus, mais c'est sans aucun doute possible l'analogie faite par l'homme néolithique. Et cette conception de l'agriculture en tant que phénomène analogue à l'acte sexuel, s'est immédiatement traduite dans l'art et les croyances. C'est à cette époque que l'on voit apparaître dans les représentations rupestres et sur le mobilier des symboles des organes sexuels males et femelles en grand nombre. Le travail de l'araire, par exemple, est souvent assimilé à l'acte sexuel. Mais avant que l'homme ne soit capable de féconder la terre par son travail et sa sueur, il a fallu qu'elle produise et perpétue elle-même les semences, et ce par parthénogenèse. Cette importance de la terre à qui l'homme doit tout, sa vie puisqu'il est sorti du sein même de la terre/mère, et sa subsistance, va favoriser le mythe de la déesse mère, mère de tout ce qui vit et respire, que l'on retrouve dans toutes les religions archaïques. Enfin il faut noter que si jusqu'alors l'os et le sang représentaient l'essence et la sacralité de la vie, dorénavant ce sont le sperme et le sang qui les incarnent.
Il est aussi intéressant de se pencher sur l'origine qui a été attribuée aux plantes cultivables. Dans presque toutes les cultures et toutes les civilisations de ces époques-là, l'acte primordial relève d'une hiérogamie entre la déesse mère et le corps démantelé  d'un Dieu sacrifié, ce qui concède une origine divine à ce qui est cultivé; en se nourrissant des plantes on se nourrit de la substance même de la divinité immolée. Le mystère de cette création et tous les mystères s'y rapportant vont établir ce que l'on peut appeler une religion cosmique. Toute l'activité religieuse est concentrée autour du système central qu'est la rénovation périodique du monde. "Le mystère de la sacralité est symbolisé dans l'arbre du monde. L'univers est conçu comme un organisme qui doit être renouvelé périodiquement, en d'autres termes chaque année. La réalité absolue, le rajeunissement, l'immortalité sont accessibles à certains privilégiés sous l'aspect d'un fruit ou d'une source auprès d'un arbre. L'arbre cosmique est censé se trouver au centre du monde et unit les trois régions cosmiques, car il plonge ses racines dans l'enfer et son sommet touche le ciel". Enfin, l'expérience du temps cosmique, surtout dans cadre des travaux agricoles va finir par imposer l'idée du temps circulaire et du cycle cosmique, répétition infinie du même rythme, rénovation du monde, qui va influencer les cultures méditerranéennes et indiennes pendant deux millénaires encore.
L'agriculture a aussi apporté une sacralisation nouvelle très importante qui se traduit par la valorisation religieuse de l'espace. Le monde, pour l'agriculteur, le vrai monde, se réduit à sa maison, son village et ses cultures, le centre du monde était souvent la place du village où étaient récitées prières et incantations, et où se trouvait souvent planté un arbre (totem, ...), représentation de l'axis mundis. De là va apparaître le symbolisme de l'habitation qui va devenir une imago mundi, qui est attesté chez tous les peuples néolithiques, suivie par une importance accrue des villes qui vont jusqu'à constituer des villes-états au Moyen-Orient. On peut se rappeler par exemple le symbolisme que revêt la yourte mongole et les tentes des populations nord-asiatiques: le ciel est conçu comme une immense tente soutenue par un pilier central, et ainsi le piquet de la tente et la fenêtre d'évacuation des fumées sont considérés comme des représentations du pilier du monde ou du trou du ciel, l'étoile polaire. On remarquera aussi qu'à cette époque les habitations étaient souvent séparées en deux, une pièce pour les hommes et une pièce pour les femmes, comme le village l'était souvent lui-même, ceci soulignant les antagonismes homme-femme, vie-mort, paix-guerre.
L'édifice spirituel néolithique devait être certainement beaucoup plus important que ce que laissent voir les quelques clichés que nous venons d'évoquer; il suffit pour s'en persuader de considérer une société contemporaine de chasseurs  cultivateurs primitifs - avec toutes les précautions d'interprétation que cela nécessite - dont la religion est articulée autour des idées de la fertilité chtonienne et du cycle vie-mort-post-existence. Mais cette vision partielle suffit souvent pour "interpréter" diverses représentations symboliques de cette époque.

La découverte des métaux
La découverte des métaux n'a pas fondamentalement changé le lourd héritage religieux néolithique, mais elle y a adjoint certaines croyances nouvelles, certaines mythologies des métaux, tout en permettant parfois le développement de conceptions anciennes.
La plus importante de ces mythologies est celle qui a trait à la métallurgie du fer; fer qui existe sous deux formes: à l'état pur (météorites, ...) ou sous forme de minerai. Si elle commence par l'utilisation "simple" des météorites, elles se sont vite révélées en quantité insuffisante, et il a fallu aller chercher le minerai dans le sein sacré de la terre. Cette profanation de la déesse mère a doté les forgerons, qui se substituaient à la mère pour accélérer voire parfaire la croissance du métal, d'un pouvoir magico-religieux, bon et maléfique à la fois. C'est la première fois dans l'histoire de l'Humanité que l'homme s'est permis de se substituer à la nature, de la perfectionner dans ses fourneaux, ce qui aura des répercussions longtemps encore: alchimie, ....

Les représentations rupestres comme témoins d'une culture

La connaissance des religions primitives, et surtout de celles qui n'ont pas disposé de l'écriture pour s'immortaliser, n'est rendue possible que par l'étude détaillée et statistique des représentations artistiques qui nous sont parvenues. Détaillées et statistiques parce que s'il faut bien entendu examiner avec soin chaque sujet pour essayer d'en tirer le maximum d'informations, on ne peut avancer dans la compréhension que par l'étude comparative des sujets, sujets qui peuvent appartenir à différents sites, différentes civilisations et diverses époques. Ainsi, à cause ou grâce à cette étude à la fois microscopique et macroscopique, on peut sans risquer de "se mordre la queue" chercher à interpréter des représentations rupestres sur la base de ce que nous savons déjà quitte à affiner dynamiquement nos connaissances si il y a lieu.

La Vallée des Merveilles
Ce qui frappe tout d'abord le visiteur de la Vallée des Merveilles, c'est le grand nombre de figures cornues qu'il rencontrera et qui constituent en fait la grande majorité des gravures. Une représentation du taureau sauvage, surtout avec exagération des cornes est caractéristique d'un culte de la fertilité qui est attesté tout au long de l'Age du Bronze sur tout le pourtour de la méditerranée. Le taureau était vénéré en tant qu'épiphanie de la fertilité masculine. Un tel culte, nous l'avons vu, est caractéristique des civilisations agricoles primitives et il s'est sans doute transmis au cours des âges. On peut donc en déduire que le peuple responsable du tracé de ces figures était avant tout un peuple agricole (ou éleveur) et non chasseur. Si ce peuple était agricole, on a vu aussi qu'un tel culte de la fécondité devait s'accompagner de rites se rapportant au culte de l'espace et de l'habitation. Et en effet, bon nombre de réticulés ou d'associations de réticulés évoquent sans aucun doute possible des maisons et des parties ou rudiments de cadastres.


Les sociétés évoluant, si elles gardent certains héritages culturels et religieux de leurs ancêtres qui ont encore une certaine actualité, une certaine signification - sans doute différente de la signification originelle - elles ajoutent à leur édifice spirituel des conceptions qui se dégagent des progrès techniques effectués. Ainsi les gravures de la Vallée des Merveilles nous renseignent davantage sur la culture de ce peuple qui pratiquait certainement l'élevage à grande échelle et qui disposait d'une métallurgie en plein essor. De plus, l'importance qui semble être donnée aux armes laisserait penser que la caste guerrière devait avoir une importance et un pouvoir certain.

La vallée du Caramy
On y trouve davantage de figures attestant d'un rite de la fécondité sans que le taureau y soit représenté. De plus on trouve plusieurs représentations de la déesse mère en accord avec les stèles néolithiques de Provence. Ainsi le caractère néolithique ou post-néolithique pourrait être établi sur ces simples constatations. La scène de chasse de la grotte Chuchy nous montre que certaines croyances des peuples chasseurs se sont transmises à travers les millénaires, sans doute en perdant de leur importance, mais s'ajoutant aux croyances héritées de l'agriculture. La datation basée sur les fouilles effectuées nous fournit un nouveau repère temporel.

Correspondance sujets-époque
On voit que l'application des données vues au chapitre précédent à la Vallée des Merveilles et à la vallée du Caramy (gorges d'Ollioules incluses d'ailleurs) nous permet de les situer chronologiquement de manière certes approximative mais significative, et de comprendre le sens général des oeuvres. Les dates plus précises qui nous sont fournies par d'autres moyens permettent d'affiner nos moyens d'interprétation.
                * La présence des cornus semble caractéristique des premières civilisations de l'âge du bronze, et surtout du bronze moyen (ils sont absents dans le Var).
                * A l'Age du Bronze, l'adoration de la déesse mère et de l'arbre cosmique semble tombée en désuétude tandis que la vénération de l'espace vital et de l'habitation est conservé (vénération ou conservation du caractère sacré sans qu'il y ait véritablement vénération au sens propre du mot).
                * A l'énéolithique et jusqu'aux premiers temps de l'Age du Bronze, on constate un culte tenace de la fertilité et des rapports sexuels, avec une permanence de l'adoration de la déesse mère; mais l'arbre cosmique semble là encore avoir perdu de son importance. L'espace vital et l'habitation sont encore représentés sur les tableaux sacrés. La chasse au gros gibier semble avoir disparue en tant qu'acte sacré primordial et semble devoir jouer plutôt un rôle de défense des cultures.

Nous allons au chapitre suivant essayer d'appliquer un tel schéma d'étude pour situer la roche de Gueillet dans une culture ou époque donnée.

Essai de datation des peintures de la roche de Gueillet

 Le premier aspect intéressant de la roche de Gueillet est l'abondance des réticulés. Il semble légitime de les considérer comme des représentations de l'habitat, voire des embryons symboliques de cadastres. Ainsi nous pourrions les interpréter comme des symboles de la sacralisation de l'espace vital et de l'habitation ce qui les attribuerait à une culture néolithique ou post-néolithique. Les associations anthropomorphes-arboriformes, représentations de l'arbre cosmique et de l'homme, seraient de nature à confirmer cette hypothèse; les positions relatives pourraient aussi avoir de l'importance en signifiant que l'homme, en ayant sa tête au- dessus de l'arbre, touche au ciel et comprend une parcelle de l'essence divine (on sait que déjà à cette époque, "l'âme" était placée dans la tête - culte des crânes). Enfin, on pourrait aussi les interpréter comme une représentation de la montée de l'âme après la mort ce qui attesterait d'une croyance en la post-existence, ou bien la symbolisation de la transe du chaman.
Les figures représentant des animaux représentent du gros gibier, bouquetin ou cerf, ce qui tendrait à dire que les habitudes des peuples chasseurs n'avaient pas complètement disparu (noter la perte du caractère initiatique, l'abri est ouvert et facilement atteignable), mais l'ampleur des cornes montre qu'à ce symbole archaïque se superpose un rite de la fécondité comme les cornes de taureau en seront un symbole ou une épiphanie. On pourrait opposer à cette interprétation l'absence de représentation de la déesse mère ou de symbole plus frappant d'un culte de la fertilité. Mais comme on l'a déjà remarqué, à l'inverse des grottes d'Ollioules ou du Caramy, les peintures ici ne sont pas du tout cachées. Par leur nature ces rites réclament un certain secret, voire une communion avec la terre: grottes profondes, obscurité, difficultés d'accès. Ici l'exposition de l'abri interdisait donc évidemment des représentations de tels rites mais permettait au contraire de représenter ce qui était moins tabou et qui a rapport avec la cosmogonie. On se rappelle que les yourtes mongoles, symboles de la cosmogonie, ne sont évidemment pas cachées. Et tous les symboles que nous avons pu interpréter jusqu'à maintenant ont trait justement à la cosmogonie, et on pourrait supposer que cela est vrai aussi pour les autres signes, en particulier pour les figures géométriques et les motifs qui s'y trouvent en grand nombre comme les signes "=" par exemple.
Enfin, on peut encore déduire des peintures de l'abri de Gueillet que le peuple créateur devait déjà être fortement sédentarisé et pourvu d'une structure sociale évoluée.

Au vu des chapitres précédents, on pourrait donc avancer que ces peintures caractérisent une culture néolithique déjà assez avancée mais n'ayant pas toutefois abandonné la chasse, déjà fortement sédentarisée et possédant des villages. Enfin si nous considérons que cette civilisation ne connaissait pas encore, ou utilisait peu les métaux (voir sur ce sujet la page de ce site sur le dolmen), on serait tenté de la dater du début de l'Age du Bronze soit vers 2000 ans avant Jésus-Christ.

 

Bibliographie

Anati Emmanuel; "L'art rupestre, Néguev et Sinaï"; Collection les traces de l'homme, éditions l'équerre.

Briard J.; "L'age du bronze"; Paris; P.U.F. "que sais-je" 1976.

Duby; "Histoire de France";  Larousse.

Eliade M.; "Histoire des croyances et des idées religieuses"; Payot.

Glory A., Martinez F., Georgeot P., Neukirch H.; "Les peintures de l'age du bronze en France méridionale"; Préhistoire X, 1948.

Lumley H., Fonvielle M.J., Abelanet J.; "livret guide de l'expédition C1 - Vallée des merveilles"; U.I.S.P.P.

Perpere J.C.; "Les pierres qui parlent"; Éditions France Empire.

Roisin M.; "Un mystère élucidé; la vallée des merveilles - le culte interdit de Mithra"; Science et vie n° 603; 1967.

Roudil O. et Berard G.; "Les sépultures mégalithiques du Var"; Editions du CNRS.

 

Les dossiers de l'archéologie:

    - n° 23: La vallée des Merveilles
    - n° 37: Au temps des gaulois dans le midi de la France
    - n° 44: Les premiers paysans
    - n° 48: Dieux et religions antiques dans les Alpes

 

 

 

 

Pour plus de renseignements sur l'Age du Bronze dans la région de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, cliquez sur l'icône:

 

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