L'abri orné de Le Val
Un essai d'interprétation

La pierre
comme support d'une pensée
Madre de los metales, te
quemaron,
Te mordieron, te
martirizaron,
Te corroyeron, te pudrieron,
Mas tarde, cuando los idolos
Ya no pudieron defenderte.
Pablo Neruda, Canto general
Support et symbolisme des
peintures de Gueillet
L'impact de l'agriculture
sur les conceptions religieuses
Les peuples chasseurs
La découverte de l'agriculture et la
sédentarisation
La
découverte des métaux
Les représentations
rupestres comme témoins d'une culture
La vallée des merveilles
La
vallée du Caramy
Correspondance
sujets-époque
Essai de datation des
peintures de la roche de Gueillet
Support et
symbolisme des peintures de Gueillet
Les premières peintures rupestres
découvertes datent du paléolithique et s'étendent à partir de -50 000 ans
dans une grande partie de l'Europe Centrale et Occidentale, de l'Oural à
l'Atlantique. Elles sont toujours réalisées dans des grottes inhabitables et
dans des lieux difficilement accessibles, comme si leur exécution nécessitait
un certain secret ou une certaine intimité avec la nature , la terre. Pour
arriver devant les parois de la grotte de Niaux ou de celle des "trois
frères", il faut parcourir des centaines de mètres; à Lascaux, on accède
à la galerie inférieure - où se trouve un des chefs d'œuvre de l'art
paléolithique - en descendant par une échelle de corde un puits de six mètres
trente de profondeur. Sur un plan plus modeste peut-être, les peintures de
l'Age des métaux du Caramy - sur la commune de Tourves, à 15 km de Le VAL - ont
souvent été exécutées dans des parties difficiles d'accès de grottes
inhabitables situées elles-mêmes dans une vallée encaissée et sauvage dont
l'accès est, et devait être, difficile et qui ne peut servir à l'agriculture.
Le caractère sacré et initiatique, voire magico-religieux de ces peintures ne
fait plus de doute, et dans le cas des peintures paléolithiques l'expérience
est rendue possible par l'observation des derniers peuples chasseurs et
primitifs d'Afrique ou d'Australie, les pygmées Bambouti ou les Bochimans par
exemple qui présentent des croyances magico-religieuses similaires.
Ainsi l'abri de Gueillet, ouvert à tous les
vents, visible de toute la vallée large et fertile qui s'étend à ses pieds,
s'écarte fondamentalement de tous les sites que nous avons cités
précédemment, en ayant perdu ce caractère numineux qui les caractérisait. Si
les peintures paléolithiques peuvent être interprétées comme étant des
supports pour des rites initiatiques avant la chasse ou lors du renouvellement
de l'année, initiation qui chez tous les peuples demande un certain mystère et
l'exécution d'épreuves diverses - dont l'accès aux salles ornées pouvait
constituer l'une d'elles - avant de pouvoir pratiquer le rite proprement dit, on
peut écarter ici cette hypothèse; encouragé en cela par le corpus lui même
de figures qui ne comporte aucune scène de chasse ou de caractère initiatique.
Les peintures de la haute vallée du Caramy, ou celles des gorges
d'Ollioules,
présentent elles ces caractères, que ce soit pour des rites en rapport avec la
chasse comme dans la grotte Chuchy, ou des rites ayant rapport à la fécondité
dans la grottes Schello. Ainsi l'abri de Gueillet s'écarte des sites du
paléolithique connus et des autres sites régionaux des tous débuts de l'Age
du bronze. Au contraire des autres sites, celui-ci semble avoir été choisi
spécifiquement du fait de sa situation, visible de tous à tout moment, comme
l'église majestueuse moyenâgeuse pour les chrétiens.
Ce caractère non initiatique implique une
autre conception de l'art, il ne s'agit plus en effet de représenter le plus
fidèlement possible des scènes de la vie quotidienne, mais d'arriver à
symboliser des constructions de l'esprit même, toute une croyance, une
religion. Ainsi on voit apparaître le besoin de styliser à l'extrême les
images caractérisant telle ou telle croyance, pour que l'on puisse oublier la
réalité simple et triviale portée par le sujet, pour s'attacher à la
signification religieuse du symbole qui transcende la vie de tous les jours. Les
schémas adoptés, les méthodes de dessins doivent donc être standardisés
pour éviter une seconde lecture de l'œuvre, un rattachement du motif à tel ou
tel moment de la vie de la tribu. Les femmes et les hommes sont donc
représentés uniquement par ce qui les caractérise, ce qui les différencie
des autres symboles utilisés pour éviter la confusion; les visages, sauf dans
des cas très particuliers ne sont pas dessinés, ce qui permet de "dépersonnaliser"
le sujet. L'exemple des animaux, et surtout des animaux à cornes est à cet
égard intéressant; ce sont les cornes qui représentent la force et la
virilité qui sont peintes avec emphase alors que le corps devient secondaire.
Ce choix est d'ailleurs caractéristique de nombre de représentations rupestres
et se retrouve dans des lieux très éloignés géographiquement.
Une telle sobriété des traits, si elle est
la preuve d'une pensée religieuse déjà élaborée et conceptuelle, nous cache
néanmoins l'essentiel de la signification du symbole et rend plus difficile
notre compréhension de la culture des artistes. C'est ce symbolisme extrême
qui a été adopté par ceux qui ont réalisé les peintures de l'abri de
Gueillet; symbolisme qui se rapproche de ce que l'on trouve dans la vallée du
Caramy, mais surtout dans la Vallée des Merveilles dans les Alpes-Maritimes -
on notera néanmoins que dans ces deux cas des scènes réalistes sont aussi
représentées.
L'impact de
l'agriculture sur les conceptions religieuses
Les
peuples chasseurs:
Jusque vers la fin de l'époque glaciaire, c'est à dire vers - 80 000 ans, les
rigueurs de climat n'ont pas permis à l'homme de découvrir l'agriculture et de
se lancer dans la formidable histoire de son perfectionnement. Les civilisations
d'alors étaient essentiellement des civilisations de chasseurs, ce qui leur
imposait une mobilité importante et interdisait toute sédentarisation. La vie
n'était possible que par le combat, combat perpétuel entre l'homme et
l'animal qu'il devait traquer au fin fond des forêts. Cette lutte permanente de
l'homme contre une nature à la fois hostile et pourvoyeuse de vie, cet
antagonisme homme-animal, vie-mort, ne pouvait que marquer profondément les
conceptions magico-religieuses ou métaphysiques de ces peuples et créer des
édifices spirituels originaux. Une des idées maîtresses était sans doute
l'assimilation de l'acte de chasse à un acte sacré, ou du moins nécessitant
l'intervention du sacré. Cela, bien qu'il faille considérer avec précaution
les rapprochements ethnographiques, est toujours attesté dans les tribus
actuelles de chasseurs-cueilleurs; l'acte de chasse, acte générateur de vie et
de mort, est un acte sacré demandant une préparation, une initiation afin de
ne pas contrarier les dieux de la chasse ou le seigneur des fauves qui
pourraient alors faire disparaître la seule ressource de la tribu. Ces
initiations pouvaient revêtir diverses formes selon les particularités
locales, mais il semble que le rite du "carnaval" fut assez répandu.
Rite du carnaval qui consiste en le mime d'une scène de chasse sous la
direction d'un chaman ou d'un sorcier afin de purifier l'âme du chasseur et
l'âme de l'animal sacrifié, puisque sacrifice réel il y aura. Cette
personnification, ou plutôt l'humanisation de l'animal qui en découle ne doit
pas surprendre dans un tel contexte; l'extase chamaniste, attestée sur les cinq
continents, implique à la fois de posséder, c'est à dire d'entrer dans le
corps d'autres humains ou animaux, et d'être possédé. Ces croyances sont loin
d'avoir disparues, et elles se perpétuent même chez des civilisations de
chasseurs "évoluées"; dans son fameux livre "Derzou Ouzala",
Vladimir Arseniev nous décrit ainsi un chasseur sibérien, guide et ami du
géographe, parlant aux animaux, au seigneur des fauves, et les désignant sous
le vocable collectif d'hommes. A coté de ces rites liés à la chasse, il est
certain que l'homme paléolithique avait d'autres problèmes d'ordre
métaphysique dont l'élaboration d'une cosmogonie, mais les matériaux qui
nous sont parvenus sont encore trop fragmentaires pour que nous puissions
arriver à la comprendre.
La découverte de
l'agriculture et la sédentarisation
La découverte de l'agriculture fut sans doute la révolution la plus importante
qui ait jamais frappé l'humanité. Elle a permis la sédentarisation des hommes
et une certaine indépendance vis à vis des problèmes matériels alors qu'elle
réclamait en même temps une étroite collaboration entre les hommes. Des
villes se sont construites, l'homme est devenu social, inventeur, et l'arc,
l'araire, la céramique et la poterie ont fait leur première apparition. C'est
l'époque où les premières grandes civilisations naquirent. Mais elle a aussi
apporté avec sa dot, la richesse et l'envie, avec le besoin de territoires
cultivables, la conquête armée des meilleures terres et la guerre. Enfin elle
a substitué à l'ancien ordre basé sur la force physique un nouvel ordre
social qui permettra la construction des civilisations et des états, et qui
sera, si l'on en croit Jean-Jacques Rousseau, l'origine des inégalités.
Son incidence sur les problèmes métaphysiques fut tout aussi importante et a remis en cause bon nombre d'interprétations et de croyances. Le fait le plus
notable est d'abord la prépondérance nouvelle de la femme et de la féminité
en général, et ce pour deux raisons. La première vient du fait que puisque
les hommes étaient essentiellement préoccupés par la chasse, ils n'avaient
pas le temps matériel de récolter, sélectionner et planter des graines; ainsi
la découverte de l'agriculture - si on peut excuser ce terme de
"découverte" qui semble ramener indûment à un instant le lent
processus qui a conduit à l'agriculture - est certainement l'œuvre des femmes
qui disposaient de plus de temps et qui accédèrent à une nouvelle position
sociale: possession des terres, sociétés matriarcales, séparation à
l'intérieur des foyers de l'homme et de la femme, ....
La seconde raison est plus importante pour notre propos et est essentiellement
d'ordre métaphysique. L'homme s'est toujours posé des questions sur ce qui
l'entoure, et c'est cette capacité qui lui a permis sans doute de se
développer de manière fantastique. Une fois que l'agriculteur a planté ses
graines, il est concevable par analogie avec la conception humaine, que
celles-ci produiront des fruits. Et ce n'est certainement pas une analogie
purement théorique que l'on peut faire à une époque où les mécanismes de la
reproduction sont parfaitement connus, mais c'est sans aucun doute possible
l'analogie faite par l'homme néolithique. Et cette conception de l'agriculture
en tant que phénomène analogue à l'acte sexuel, s'est immédiatement traduite
dans l'art et les croyances. C'est à cette époque que l'on voit apparaître
dans les représentations rupestres et sur le mobilier des symboles des organes
sexuels males et femelles en grand nombre. Le travail de l'araire, par exemple,
est souvent assimilé à l'acte sexuel. Mais avant que l'homme ne soit capable
de féconder la terre par son travail et sa sueur, il a fallu qu'elle produise
et perpétue elle-même les semences, et ce par parthénogenèse. Cette
importance de la terre à qui l'homme doit tout, sa vie puisqu'il est sorti du sein même de la terre/mère, et sa subsistance, va favoriser le mythe
de la déesse mère, mère de tout ce qui vit et respire, que l'on retrouve dans
toutes les religions archaïques. Enfin il faut noter que si jusqu'alors l'os et
le sang représentaient l'essence et la sacralité de la vie, dorénavant ce
sont le sperme et le sang qui les incarnent.
Il est aussi intéressant de se pencher sur l'origine qui a été attribuée aux
plantes cultivables. Dans presque toutes les cultures et toutes les
civilisations de ces époques-là, l'acte primordial relève d'une hiérogamie
entre la déesse mère et le corps démantelé d'un Dieu sacrifié, ce qui
concède une origine divine à ce qui est cultivé; en se nourrissant des
plantes on se nourrit de la substance même de la divinité immolée. Le
mystère de cette création et tous les mystères s'y rapportant vont établir
ce que l'on peut appeler une religion cosmique. Toute l'activité religieuse est
concentrée autour du système central qu'est la rénovation périodique du
monde. "Le mystère de la sacralité est symbolisé dans l'arbre du
monde. L'univers est conçu comme un organisme qui doit être renouvelé
périodiquement, en d'autres termes chaque année. La réalité absolue, le
rajeunissement, l'immortalité sont accessibles à certains privilégiés sous
l'aspect d'un fruit ou d'une source auprès d'un arbre. L'arbre cosmique est
censé se trouver au centre du monde et unit les trois régions cosmiques, car
il plonge ses racines dans l'enfer et son sommet touche le ciel".
Enfin, l'expérience du temps cosmique, surtout dans cadre des travaux agricoles
va finir par imposer l'idée du temps circulaire et du cycle cosmique,
répétition infinie du même rythme, rénovation du monde, qui va influencer
les cultures méditerranéennes et indiennes pendant deux millénaires encore.
L'agriculture a aussi apporté une sacralisation nouvelle très importante qui
se traduit par la valorisation religieuse de l'espace. Le monde, pour
l'agriculteur, le vrai monde, se réduit à sa maison, son village et ses
cultures, le centre du monde était souvent la place du village où étaient
récitées prières et incantations, et où se trouvait souvent planté un arbre
(totem, ...), représentation de l'axis mundis. De là va apparaître le
symbolisme de l'habitation qui va devenir une imago mundi, qui est attesté chez
tous les peuples néolithiques, suivie par une importance accrue des villes qui
vont jusqu'à constituer des villes-états au Moyen-Orient. On peut se rappeler
par exemple le symbolisme que revêt la yourte mongole et les tentes des
populations nord-asiatiques: le ciel est conçu comme une immense tente soutenue
par un pilier central, et ainsi le piquet de la tente et la fenêtre
d'évacuation des fumées sont considérés comme des représentations du pilier
du monde ou du trou du ciel, l'étoile polaire. On remarquera aussi qu'à cette
époque les habitations étaient souvent séparées en deux, une pièce pour les
hommes et une pièce pour les femmes, comme le village l'était souvent lui-même, ceci soulignant les antagonismes homme-femme, vie-mort, paix-guerre.
L'édifice spirituel néolithique devait être certainement beaucoup plus
important que ce que laissent voir les quelques clichés que nous venons
d'évoquer; il suffit pour s'en persuader de considérer une société
contemporaine de chasseurs cultivateurs primitifs - avec toutes les
précautions d'interprétation que cela nécessite - dont la religion est
articulée autour des idées de la fertilité chtonienne et du cycle
vie-mort-post-existence. Mais cette vision partielle suffit souvent pour
"interpréter" diverses représentations symboliques de cette époque.
La découverte des
métaux
La découverte des métaux n'a pas fondamentalement
changé le lourd héritage religieux néolithique, mais elle y a adjoint
certaines croyances nouvelles, certaines mythologies des métaux, tout en
permettant parfois le développement de conceptions anciennes.
La plus importante de ces mythologies est celle qui a trait à la métallurgie
du fer; fer qui existe sous deux formes: à l'état pur (météorites, ...) ou
sous forme de minerai. Si elle commence par l'utilisation "simple" des
météorites, elles se sont vite révélées en quantité insuffisante, et il a
fallu aller chercher le minerai dans le sein sacré de la terre. Cette
profanation de la déesse mère a doté les forgerons, qui se substituaient à
la mère pour accélérer voire parfaire la croissance du métal, d'un pouvoir
magico-religieux, bon et maléfique à la fois. C'est la première fois dans
l'histoire de l'Humanité que l'homme s'est permis de se substituer à la
nature, de la perfectionner dans ses fourneaux, ce qui aura des répercussions
longtemps encore: alchimie, ....
Les
représentations rupestres comme témoins d'une culture
La connaissance des religions primitives, et
surtout de celles qui n'ont pas disposé de l'écriture pour s'immortaliser,
n'est rendue possible que par l'étude détaillée et statistique des
représentations artistiques qui nous sont parvenues. Détaillées et
statistiques parce que s'il faut bien entendu examiner avec soin chaque sujet
pour essayer d'en tirer le maximum d'informations, on ne peut avancer dans la
compréhension que par l'étude comparative des sujets, sujets qui peuvent
appartenir à différents sites, différentes civilisations et diverses
époques. Ainsi, à cause ou grâce à cette étude à la fois microscopique et
macroscopique, on peut sans risquer de "se mordre la queue" chercher
à interpréter des représentations rupestres sur la base de ce que nous savons
déjà quitte à affiner dynamiquement nos connaissances si il y a lieu.
La
Vallée des Merveilles
Ce qui frappe tout d'abord le visiteur de la Vallée des
Merveilles, c'est le
grand nombre de figures cornues qu'il rencontrera et qui constituent en fait la
grande majorité des gravures. Une représentation du taureau sauvage, surtout
avec exagération des cornes est caractéristique d'un culte de la fertilité
qui est attesté tout au long de l'Age du Bronze sur tout le pourtour de la
méditerranée. Le taureau était vénéré en tant qu'épiphanie de la
fertilité masculine. Un tel culte, nous l'avons vu, est caractéristique des
civilisations agricoles primitives et il s'est sans doute transmis au cours des
âges. On peut donc en déduire que le peuple responsable du tracé de ces figures
était avant tout un peuple agricole (ou éleveur) et non chasseur. Si ce peuple
était agricole, on a vu aussi qu'un tel culte de la fécondité devait
s'accompagner de rites se rapportant au culte de l'espace et de l'habitation. Et
en effet, bon nombre de réticulés ou d'associations de réticulés évoquent
sans aucun doute possible des maisons et des parties ou rudiments de cadastres.
Les sociétés évoluant, si elles gardent certains héritages culturels et
religieux de leurs ancêtres qui ont encore une certaine actualité, une
certaine signification - sans doute différente de la signification originelle -
elles ajoutent à leur édifice spirituel des conceptions qui se dégagent des progrès
techniques effectués. Ainsi les gravures de la Vallée des Merveilles nous
renseignent davantage sur la culture de ce peuple qui pratiquait certainement l'élevage à grande échelle et qui disposait d'une métallurgie en plein essor.
De plus, l'importance qui semble être donnée aux armes laisserait penser que
la caste guerrière devait avoir une importance et un pouvoir certain.
La vallée du Caramy
On y trouve davantage de figures attestant d'un rite de la fécondité sans que
le taureau y soit représenté. De plus on trouve plusieurs représentations de
la déesse mère en accord avec les stèles néolithiques de Provence. Ainsi le
caractère néolithique ou post-néolithique pourrait être établi sur ces
simples constatations. La scène de chasse de la grotte Chuchy
nous montre que
certaines croyances des peuples chasseurs se sont transmises à travers les millénaires,
sans doute en perdant de leur importance, mais s'ajoutant aux croyances
héritées de l'agriculture. La datation basée sur les fouilles effectuées
nous fournit un nouveau repère temporel.
Correspondance
sujets-époque
On voit que l'application des données vues au chapitre précédent à la
Vallée des Merveilles et à la vallée du Caramy
(gorges d'Ollioules incluses
d'ailleurs) nous permet de les situer chronologiquement de manière certes
approximative mais significative, et de comprendre le sens général des
oeuvres. Les dates plus précises qui nous sont fournies par d'autres moyens
permettent d'affiner nos moyens d'interprétation.
* La présence des cornus semble caractéristique des premières civilisations
de l'âge du bronze, et surtout du bronze moyen (ils sont absents dans le Var).
* A l'Age du Bronze, l'adoration de la déesse mère et de l'arbre cosmique
semble tombée en désuétude tandis que la vénération de l'espace vital et de
l'habitation est conservé (vénération ou conservation du caractère sacré
sans qu'il y ait véritablement vénération au sens propre du mot).
* A l'énéolithique et jusqu'aux premiers temps de l'Age du Bronze, on constate
un culte tenace de la fertilité et des rapports sexuels, avec une permanence de
l'adoration de la déesse mère; mais l'arbre cosmique semble là encore avoir
perdu de son importance. L'espace vital et l'habitation sont encore
représentés sur les tableaux sacrés. La chasse au gros gibier semble avoir
disparue en tant qu'acte sacré primordial et semble devoir jouer plutôt un rôle
de défense des cultures.
Nous allons au chapitre suivant essayer
d'appliquer un tel schéma d'étude pour situer la roche de Gueillet dans une
culture ou époque donnée.
Essai de datation
des peintures de la roche de Gueillet
Le premier aspect intéressant de la
roche de Gueillet est l'abondance des réticulés. Il semble légitime de les
considérer comme des représentations de l'habitat, voire des embryons
symboliques de cadastres. Ainsi nous pourrions les interpréter comme des
symboles de la sacralisation de l'espace vital et de l'habitation ce qui les
attribuerait à une culture néolithique ou post-néolithique. Les associations
anthropomorphes-arboriformes, représentations de l'arbre cosmique et de l'homme,
seraient de nature à confirmer cette hypothèse; les positions relatives
pourraient aussi avoir de l'importance en signifiant que l'homme, en ayant sa
tête au- dessus de l'arbre, touche au ciel et comprend une parcelle de l'essence
divine (on sait que déjà à cette époque, "l'âme" était placée
dans la tête - culte des crânes). Enfin, on pourrait aussi les interpréter
comme une représentation de la montée de l'âme après la mort ce qui attesterait
d'une croyance en la post-existence, ou bien la symbolisation de la transe du
chaman.
Les figures représentant des animaux représentent du gros gibier, bouquetin ou
cerf, ce qui tendrait à dire que les habitudes des peuples chasseurs n'avaient
pas complètement disparu (noter la perte du caractère initiatique, l'abri est
ouvert et facilement atteignable), mais l'ampleur des cornes montre qu'à ce
symbole archaïque se superpose un rite de la fécondité comme les cornes de
taureau en seront un symbole ou une épiphanie. On pourrait opposer à cette
interprétation l'absence de représentation de la déesse mère ou de symbole
plus frappant d'un culte de la fertilité. Mais comme on l'a déjà remarqué,
à l'inverse des grottes d'Ollioules ou du Caramy, les peintures ici ne sont pas
du tout cachées. Par leur nature ces rites réclament un certain secret, voire
une communion avec la terre: grottes profondes, obscurité, difficultés
d'accès. Ici l'exposition de l'abri interdisait donc évidemment des
représentations de tels rites mais permettait au contraire de représenter ce
qui était moins tabou et qui a rapport avec la cosmogonie. On se rappelle que
les yourtes mongoles, symboles de la cosmogonie, ne sont évidemment pas
cachées. Et tous les symboles que nous avons pu interpréter jusqu'à
maintenant ont trait justement à la cosmogonie, et on pourrait supposer que cela
est vrai aussi pour les autres signes, en particulier pour les figures
géométriques et les motifs qui s'y trouvent en grand nombre comme les signes
"=" par exemple.
Enfin, on peut encore déduire des peintures de l'abri de Gueillet que le peuple
créateur devait déjà être fortement sédentarisé et pourvu d'une structure
sociale évoluée.
Au vu des chapitres précédents, on pourrait
donc avancer que ces peintures caractérisent une culture néolithique déjà
assez avancée mais n'ayant pas toutefois abandonné la chasse, déjà fortement
sédentarisée et possédant des villages. Enfin si nous considérons que cette
civilisation ne connaissait pas encore, ou utilisait peu les métaux (voir sur
ce sujet la page de ce site sur le dolmen),
on serait tenté de la dater du début de l'Age du Bronze soit vers 2000 ans
avant Jésus-Christ.
Bibliographie
Anati Emmanuel; "L'art rupestre, Néguev et
Sinaï"; Collection les traces de l'homme, éditions l'équerre.
Briard J.; "L'age du bronze"; Paris; P.U.F.
"que sais-je" 1976.
Duby; "Histoire de France"; Larousse.
Eliade M.; "Histoire des croyances et des idées
religieuses"; Payot.
Glory A., Martinez F., Georgeot P., Neukirch H.;
"Les peintures de l'age du bronze en France méridionale";
Préhistoire X, 1948.
Lumley H., Fonvielle M.J., Abelanet J.; "livret
guide de l'expédition C1 - Vallée des merveilles"; U.I.S.P.P.
Perpere J.C.; "Les pierres qui parlent"; Éditions
France Empire.
Roisin M.; "Un mystère élucidé; la vallée des
merveilles - le culte interdit de Mithra"; Science et vie n° 603; 1967.
Roudil O. et Berard G.; "Les sépultures
mégalithiques du Var"; Editions du CNRS.
Les dossiers de l'archéologie:
- n° 23: La vallée des Merveilles
- n° 37: Au temps des gaulois dans le midi de la France
- n° 44: Les premiers paysans
- n° 48: Dieux et religions antiques dans les Alpes
Pour plus de renseignements sur l'Age
du Bronze dans la région de Provence-Alpes-Côte-d'Azur, cliquez sur l'icône: |

|
Retour à la présentation générale
de l'abri: 
|