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2-6: On ne peut pas ne pas citer les senryu

2-6-1    Un peu d’histoire(69)

 

Comme évoqué plus haut, les senryu  dérivent eux aussi des haïkaï  renga , mais exploitent eux la veine que l’on pourrait qualifier de populaire du genre. Ce type de brèves épigrammes étaient utilisées pour fixer dans l’instant une observation de la vie courante, un trait satirique sur tel personnage, un mouvement d’humeur, une parodie ou un jeu de mots bien trouvé, la belle-mère qui s’accroche à la vie ou les filles trop chères.

 

Ecrire des haïkaï  (on verra ci-dessous quand le nom a changé), peut ne pas apparaître difficile quand on le voit pratiqué par d’autres, mais la pratique s’avère nettement plus ardue. Il faut une initiation à la technique de la composition, et souvent des avis éclairés quant à la qualité du résultat. Cela a donné naissance à une profession de « maître de poésie ». Ces maîtres donnaient un sujet (maeku ) général à leurs élèves en quelques mots simples, et ceux-ci devaient rédiger sur cette base une réponse (tsukeku ) qui était ensuite « corrigée » par le maître contre rémunération. Ceci connut un succès tel que les maîtres se faisaient concurrence, et que des concours, assortis de prix importants furent organisés. L’exercice prit le nom de maekuzuke , poème-réponse, par contraction des deux mots, maeku et tsukeku. Selon un texte de 1692, « les brigands au fond de leurs montagnes, la tête reposant sur leur hache de guerre, cherchent à composer des tsukeku, cependant que les paysans aux champs, appuyés sur le manche de leur houe, ruminent le sens des maeku(70) ».

 

Les cinq premières décennies du XVIII° siècle sont l’adolescence du genre, encore maladroit, trop impétueux pour arriver au détachement du vrai comique. Il faudra attendre Karai Masamichi Hachiemon (71), plus connu sous son nom de plume, senryu , pour que le genre qui prendra son nom s’affirme. Son succès en tant que maître de poésie est tel qu’au bout de quelques années le nombre de soumissions qu’on lui fait (en lots) se chiffre en dizaines de milliers. Ainsi, en 1762 les amateurs lui en auraient envoyé dix mille, ce nombre atteignant vingt-cinq mille en 1779.

 

Il peut être intéressant de dire quelques mots du processus. Senryu  faisait connaître les sujets des concours par des annonces chez les commerçants de Edo (72), en même temps que le tarif de chacune des « épreuves » du mois. Les concurrents devaient appartenir à des cercles poétiques de quartier (éviter le favoritisme), et seul le nom du cercle figurait sur les poèmes soumis. Au cinquième, quinzième et vingt-cinquième jour des cinq mois de l’année pendant lesquels il organisait ces joutes (du huitième au douzième seulement, car Senryu voulait conserver suffisamment de temps pour lire tout le courrier qu’il recevait), il en publiait les résultats. Sur une moyenne de vingt-cinq mille poèmes reçus, le maître en sélectionnait de l’ordre de cinq à six cents, sévère examen pour un taux de réussite de deux pour cent.

 

Pour être retenus, ces senryu  devaient être comiques, ou du moins, leur chute provoquer le sourire. Bien entendu la satire sociale est l’esprit même du senryu, en particulier vis-à-vis des fonctionnaires que l’on accuse souvent de prévarication (voir exemple ci-dessous), mais aussi la dénonciation des voisins, la vie conjugale, et le monde des courtisanes.

 

Deux exemples de senryu  célèbres sont intéressants à ce propos :

 

Portant l’une des barres,

L’un de ceux qui hier soir ont

Pris du tétrodon.

 

Un soir quelques amis ont mangé du tétrodon, célèbre poisson dont la vésicule biliaire renferme un puissant poison mortel. Tout l’art de le cuisiner est bien sûr d’être capable de l’enlever, mais tout en en laissant quelques traces pour que la langue s’engourdisse. Bien sûr, encore maintenant, mais surtout à l’époque, les accidents n’étaient pas rares. Le lendemain, un de ces convives est décédé, un de ses amis est délégué pour porter la jarre funéraire suspendue à une barre (tout lecteur japonais aura compris que la barre dont on parle dans le poème est une barre funéraire).

 

Fils de fonctionnaire,

Très vite et très bien apprend

A fermer le poing.

 

Un des fonctionnaires de la municipalité vient d’avoir un fils, on se précipite pour féliciter les parents, on admire avec quelle vigueur et quelle adresse, si petit il ouvre et ferme ses poings… ; Mais tout le monde aura compris que ce qui est visé est la main du père, très rapide à se fermer sur la pièce d’or qui est donnée pour obtenir une faveur…

 

Le monde des courtisanes, ou du quartier de Yoshiwara, avec ses attraits et ses déceptions, ses règles si exigeantes et si complexes, l’immense littérature dont il a fait l’objet, les innombrables dessins et estampes qui le dépeignent sous tous ses aspects, était un terreau éminemment fertile pour les senryu ; on en dénombre plus de cent dix mille sur ce thème (ceux qui ont été retenus par la critique…).

 

2-6-2    Les senryu « érotiques »

 

On ne pouvait pas, même si ce n’est pas l’objet de cette étude que de traiter des senryu , ne pas évoquer, en relation avec les estampes qui ont si fortement marqué le subconscient occidental, un des domaines majeurs qu’ils ont couvert : l’érotisme.

 

L’essor de ces estampes est à placer aussi au début du dix-septième siècle, époque à laquelle les recueils de dessins érotiques – les shunga  – connurent un grand essor. Du fait de la nécessité de la double résidence {1.6}, les villes étaient soit « masculines » soit « féminines ». Dans tous les cas, autant pour l’homme que pour la femme, la recherche du plaisir sexuel, dans une société aux conventions sociales très fortement implantées, et dans laquelle l’amour vénal dans les quartiers de plaisir était très onéreux, aboutissait souvent à la pratique de l’onanisme ;  les shunga en constituaient les stimuli.

 

Voilà ce que disait un poème de l’époque sur le sujet [5.2.2.5 :

 

Les images d’oreillers

Rangées chaque jour

En un endroit différent.

 

 

Ill.  48 : Utamaro  - estampe érotique

 

Nous n’allons pas ici présenter une anthologie de ce genre, mais donner quelques exemples suivant une « classification » utilisée dans les anthologies japonaises(73) dont sont tirés les textes présentés dans la référence [5.2.1.6 ] : « des moines », « des dames du palais », «  de la vie conjugale », « des domestiques », « des veuves » et « des courtisanes ».

 

Pour les moines, le commerce avec les femmes était rigoureusement interdit, celui avec les hommes toléré en cas d’urgence et avec la modération ecclésiastique nécessaire :

 

Ceux qui font le siège

De la porte de derrière

Sont toujours des moines

 

Pour ce qui concerne les dames du palais, inaccessibles au commun des mortels, il s’agit plus de fantasmes que de descriptions :

 

Ill.  49 : Femme lisant un livre

La tête dans la main

Elles se plongent dans la lecture

Des livres en images

 

La dame du palais

A perdu un objet dont

Elle n’ose s’enquérir

 

 

   

Lors de la nuit de noces, il fallait que le marié soit sûr de ne pas être épuisé par son commerce avec les filles de joie, et il fallait donc s’y préparer, pour cela l’œuf délayé cru dans du saké était connu comme étant un puissant aphrodisiaque :

 

« Plutôt que du riz

Mange donc des œufs », recommande

L’épouse vorace

 

 

Un jour ou l’autre la lassitude arrive dans la vie conjugale, il est des solutions pour le mari dans sa propre maison :

 

Lassée que chaque nuit,

Il s’y glisse, la bonne fait son

Lit en portefeuille

 

 

A l’oreille de l’épouse

Endormie viennent les cris de

La bonne en extase

 

 

 

Le monde des courtisanes à Yoshiwara à Edo  a donné lieu à une pléthore d’ouvrages. Le commerce était autorisé, mais les plaisirs onéreux, et elles étaient exigeantes…. Du moins c’est l’image que la littérature masculine nous a laissée…

 

 

 

Ill.  50 : Kitagawa Utamaro  – 1794 – Geisha 8 - Vie à Yoshimara - Edo


 

A la première fois

Certains ont l’illusion qu’elle

Va prêter son vase

 

 

A la troisième fois

Tant elle se laisse aller que

La nuit est trop courte

 

On pourra aussi retourner voir les deux derniers exemples du paragraphe {1.5 }.

 

 

Ill.  51 : Utamaro  - Courtisane et son client

 

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