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2-4: Quelques études de texte

Même si un haïku  est un poème de l’instant, il ne peut être lu en faisant abstraction du contexte mental de l’auteur, de sa culture, de son éducation ou de sa religion ou philosophie. Comme en français l’utilisation de tel ou tel mot, telle expression, peut faire venir à l’esprit d’autres images, qui peuvent à leur tour enrichir le poème d’origine ou lui donner un sens différent de celui donné par le texte lui-même. Comment ne pas penser à Gargantua quand on lit dans un texte le mot « substantifique », et c’est la plupart du temps ce que voulait l’auteur. Comment ne pas penser au poème de Guillaume Apollinaire  quand on décrit l’eau qui passe sous un pont, et ensuite par analogie au temps qui passe et aux amours perdus. De la même façon les références à la période de Noël ne peuvent être dissociées de toute l’histoire de la Nativité. C ’est une difficulté supplémentaire pour l’occidental qui veut lire ces poèmes – la traduction en est une autre comme cela sera évoqué au {4.1} - ou comprendre ce qu’ils évoquent pour un japonais.

 

Pour illustrer cette difficulté – et pour aussi lire quelques beaux haïku  – on trouvera ci-dessous quelques exemples de poèmes assortis de leurs commentaires tels qu’ils apparaissent en particulier dans « haïku - Anthologie du poème court japonais – collection Poésie – Gallimard » [5.2.1.2 ].

 

2-4-1: Les références à des notions philosophiques ou religieuses

Soir de printemps –

De bougie en bougie

La flamme se transmet

Yosa Buson

Cette flamme est aussi celle de la conscience passant d’une incarnation à l’autre.

 

Devant l’éclair –

Sublime est celui

Qui ne sait rien

Matsuo Bashô

L’auteur, adepte du zen lui-même, joue sur le double sens du verbe satoru : « comprendre » et « réaliser » au sens du plus haut achèvement (éveil, satori). Selon un de ces paradoxes chers au zen, celui qui ne sait rien possède la vraie connaissance.

 

Dans le marais asséché

Où vit le python

Les nuages s’amassent

Masaoka Shiki

Si les nuages sont promesse de pluie, le serpent est lié lui aussi, dans le bestiaire extrême-oriental, à l’eau et à la fertilité (comme le dragon).

 

Puce endiablée –

Par ma main

Devient un Bouddha !

Kobayashi Issa

L’expression « devenir Bouddha », outre son sens littéral, signifie aussi « mourir » (le terme « Bouddha » est employé pour désigner – avec respect – un cadavre).

 

Devant la maison vide

Une cigale crépite

Au dernier soleil

Masaoka Shiki

Outre la puissante impression de solitude qui s’en dégage, ce poème témoigne d’un art parfaitement abouti, en ce qu’il fait résonner l’infiniment grand (le soleil), l’infiniment petit (la cigale) et la dimension humaine (la maison vide). Dans la symbolique bouddhique, la maison représente la conscience ordinaire – et la maison vide le retour à la vacuité originelle.

 

Eveillée

De ce rêve

Je verrai le violet des iris

Ogawa Shushiki(58)

Ogawa Shushiki écrivit ce haïku  sur son lit de mort. Si la vie est un rêve, une illusion, la mort vient comme la promesse d’un éveil à une lumière plus intense, pareille au violet des iris, couleur traditionnellement associée aux jeunes filles.

 

Il songe le singe

A longueur de nuit –

Comment saisir la lune ?

Masaoka Shiki

Le singe c’est l’homme ; la nuit l’aveuglement de la vie humaine ; la lune, l’enseignement éclairant du Bouddha.

 

Sur la tablette des âmes

Brûlent aussi

Les larmes et la rosée

Hattori Ransetsu(59)

A l’intérieur de la maison, les tablettes funéraires dédiées aux âmes des défunts sont installées sur un autel. La rosée des fleurs déposées en offrande, les larmes versées, forment le combustible qui entretient la flamme du souvenir.

 

Devant le temple des six vertus

Au fond des ténèbres

Les vers de terre crient

Kawabata Bosha(60)

Ce haïku  à l’accent mystérieux, à la fois ésotérique et désespéré, évoque toute la détresse de la destinée humaine : nous sommes ces créatures rampant sur terre, aspirant tant bien que mal à réaliser les Six Paramita, les six vertus bouddhiques menant à l’éveil.

 

Elle tombe et tombe

La feuille de paulownia

Aux rayons du soleil

Takahama Kyoshi (61)

Ce haïku  (l’un des préférés de Kyoshi lui-même, dit-on) offre un exemple parfait de regard transcendant. A travers la description d’une feuille tourbillonnant sous les rayons du soleil, c’est la condition humaine tout entière qui transparaît – entre ironie et mélancolie. La trajectoire de cette feuille si semblable aux autres, et pourtant unique, recevant le soleil dans sa chute, est bien celle d’une vie humaine, promise à la même et inéluctable déchéance, malgré la lumière chaude qui émane des rayons: l’infime comme mesure de l’éternité

 

2-4-2: Les références à la culture japonaise

 

Ce matin

Le soleil a jailli

D’une tête de sardine

Yosa Buson

Ici c’est la façon d’écrire le poème qui est intéressante : dans le texte original, la sardine est dessinée, tête pointant vers le haut. En peignant le mot, Buson  le peintre revient aux sources de l’écriture japonaise, puisqu’à l’origine les idéogrammes étaient des dessins stylisés.

 

Au Bouddha

Je montre mes fesses –

La lune est fraîche !

Masaoka Shiki

L’auteur renoue ici avec la veine irrévérencieuse et satirique des haïku  du XVII° siècle. Pour contempler la lune, le poète tourne le dos à un objet sacré, alors que les convenances l’interdisent.

 

Le printemps s’annonce

J’ai quarante-trois ans –

Toujours là devant mon riz blanc

Kobayashi Issa

Le passage de la quarantaine est considéré comme dangereux au japon, car le chiffre « quatre » et le mot « mort » sont homonymes.

 

Au frimas des fleurs

le couteau

s’embue de graisse

Kinoshita Yuji(62)

La fleur de cerisier associée au tranchant d’une lame évoque d’emblée le lien très ancien entre le monde des guerriers et le monde des fleurs. Brièveté sidérante œuvrant toujours au fil de l’inconscient.

 

Sous les fleurs d’un monde flottant

Avec mon riz brun

Et mon saké blanc

Matsuo Bashô

Les fleurs de cerisier symbolisent l’impermanence. Le « monde flottant » (ukiyo-e  – terme d’origine bouddhiste) désigne notre monde éphémère. Le poète voyageur vit de bonheurs simples : le saké blanc (épais, laiteux) et le riz brun (non décortiqué).

 

On rassemble

Les os du mort –

Les violettes compatissent

Yosa Buson

Après l’incinération, les proches du défunt ramassent avec des baguettes les os non consumés, qui seront placés dans l’urne funéraire.

 

On aère en été –

Sur la perche

Le vêtement du mort

Morikawa Kyoroku(63)

Après l’humidité de la saison des pluies, on met les vêtements à sécher au soleil. La présence de ce kimono funèbre évoque à merveille l’irruption de la mort au milieu des activités de la vie. A l’âge de trente ans, Morikawa, issu d’une famille de samouraï, avait perdu tous ses proches.

 

2-4-3: Les références à l'histoire ou à la géographie

 

Anniversaire de la bombe --

J’essuie mon corps nu

D’un matin sans blessures

Ishida Tôsei(64)

Ici pas besoin de commentaire pour l’anniversaire de Hiroshima

Herbes d’été –

Un soldat

Fondu et caramélisé

Suzuki Akira(65)

 

Qu’on me donne une stalactite

Renfermant les étoiles

De la Sente du Nord !

Takaha Shugyo(66)
Le terme original « Michinoku », traduit par « sente du nord », désigne les anciennes provinces du nord du Japon, dont l’auteur est originaire. Ce terme aux connotations nostalgiques évoque les paysages enneigés d’une région autrefois chantée par Bashô  et qui, aujourd’hui encore, reste emblématique du Japon traditionnel.

 

2-4-4: Quelques commentaires de R.H. Blyth

On ne peut pas ne pas citer quelques commentaires de haïku  faits par celui qui les a peut être fait découvrir au monde occidental, R.H. Blyth , dont on en dira plus au paragraphe {4.8.1}. Ces commentaires(67) proviennent de son livre « A history of haïku » [5.2.2.3 ].

 

Who is he,

A straw-mat over him,

This flowery spring ?

 Original de Bashô .

 

Qui est-ce,

Sous ce manteau de paille,

Printemps fleuri.

 

Les gens vont voir les cerisiers en fleurs dans leurs plus beaux atours, mais ici il y a quelqu’un qui est simplement recouvert d’un manteau de paille, un mendiant ou un fou, ou un samouraï sans maître errant. Son printemps, sa contemplation des fleurs de cerisiers doit être différente de celle des autres personnes, sans doute similaire à celle qu’aurait décrite Thoreau. Bashô  ne passe pas de l’autre côté.

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Autumn is near ;

The heart inclines

To the four-and-a-half mat room.

 Original de Bashô

 

L’automne est proche ;

Le cœur recherche

La pièce de quatre tatami et demi.

 

Quand l’été se termine, et que l’automne approche, les personnes qui ont une sensibilité poétique se sentent attirées par la petite pièce où la cérémonie du thé est tenue. Le thé, comme la nature elle-même, n’appartient pas à une saison particulière. Cependant, comme l’énergie de l’été diminue, une tendance à la méditation, un état d’esprit plus passif nous accapare, et on a envie d’exprimer l’harmonie et la beauté de la vie en se réunissant avec des amis, une réunion avec seulement des choses simples et belles. C’est pour satisfaire cet état d’esprit que la cérémonie du thé a été inventée, source de ce poème. Le poème de Bashô  est indéniablement subjectif, mais il n’est pas purement individuel, la cérémonie du thé étant un acte social, et de plus, au travers de l’expression de son propre désir, il nous donne quelque chose de la nature objective de l’automne au moment où il prend la place de l’été.

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The heavy doors

Of the great gate :

An evening of spring

Original de Buson

 

Les lourdes boiseries

De la grande porte :

Soirée de printemps

 

La grande porte est celle du palais d’un daimyo , ou d’un temple plus grand. Les boiseries sont épaisses, et renforcées par des barres de fer. Quelqu’un est venu pour les fermer, et leur fermeture entraîne crissements et raclements. Puis il y a connexion avec le printemps, un certain sentiment de solitude et d’inévitable.

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The brigth autumn moon ;

Rabits crossing over

The lake of Suwa .

 Original de Buson

 

La lune brillante d’automne

Des lapins qui traversent

Le lac de Suwa

 

Au clair de lune l’eau brille comme du vif-argent. Les petites vagues qui troublent la surface de l’eau ressemblent à des lapins blancs qui courent les uns derrière les autres.

 

 

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