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4-8: Les haïjin dans le monde anglo-saxon

4-8-1: Reginald Horace Blyth

 

 

Ill.  69 : R.H. Blyth

Un anglais, émigré au Japon et ce pendant la guerre, amoureux de la culture japonaise et connaisseur de la culture zen, est sans doute à l’origine du renouveau de la vogue haïku  en occident. Reginal Horace Blyth  est né en 1898 dans l’Essex et est mort à Tokyo  en 1964. Il a écrit plusieurs ouvrages sur les haïku, en particulier une série de quatre volumes : « haïku » et une histoire du haïku en deux volumes : « History of haïku ». Il est considéré comme le meilleur interprète de l’après-guerre de la culture de ce genre littéraire pour l’occident (en langue anglaise). Ses commentaires des meilleurs poèmes ont particulièrement permis d’en comprendre la signification profonde. On peut citer quelques réflexions de R.H. Blyth empruntées à ses ouvrages, et qui montrent l’effort qu’il avait fait pour expliquer, faire comprendre à ses contemporains l’essence même des haïku (traductions sommaires de l’auteur).

 

Le haïku est l’expression d’une illumination temporaire au travers de laquelle on voit l’essence des choses.

Il faut un certain état d'esprit pour créer et l'apprécier des haïku: Désintéressement, solitude, acceptation reconnaissante, ne pas être verbeux, non intellectualité, esprit de contradiction, humour, liberté, ne pas être moralisateur, simplicité, matérialité, amour et courage.
Haïku, Volume Un, p. 154

L'amour de la nature est religion et cette religion est poésie; ces trois choses sont une chose. C'est le credo inexprimé des poètes haïku. - History of Haïku, Vol. One, Introduction, 8.5

Le haïku nous montre ce que nous connaissions de tous temps sans en avoir conscience; il nous montre que nous sommes des poètes dans la mesure où nous vivons.
Haïku, le Volume 1

Un haïku est une porte ouverte qui apparaît fermée.

Dans son ouvrage « A history of haïku », R.H. Blyth, évoque la vogue des haïku dans le monde, et cherche à qualifier comment ce type de poésie typiquement japonais pourrait se transcrire dans d’autres langues. Le début du chapitre traitant de ce sujet est suffisamment savoureux pour que je le reproduise ci-dessous (traduction rapide de l’auteur) :

Le dernier développement de l’histoire du haïku, celui que personne n’a anticipé, est l’écriture de haïku en dehors du Japon et dans une langue différente de la langue japonaise. On peut aujourd’hui dire avec suffisamment de certitude que le jour est venu où on verra des haïku écrits en Russie (bien que des haïku communistes, comme d’ailleurs capitalistes ou chrétiens ou bouddhiques ou athéistes, sont des impossibilités par nature), dans les Célèbes, en Sardaigne. Quelle plaisante idée, quel paradis terrestre cela sera quand on verra des Esquimaux souffler sur leurs doigts alors qu’ils écrivent des haïku sur le soleil qui ne se couche ou ne se lève jamais, des pygmées composant des haïku de la jungle sur le gorille et le python, les nomades du Sahara et du désert de Gobi voyant un grain de sable dans le monde !

 

Si R.H. Blyth a sans aucun doute contribué à la diffusion du haïku dans le monde, et à la compréhension de la forme originale, il n’en demeure pas moins que certains de ces commentaires peuvent paraître un peu vains. C’est en tous cas l’opinion d’un autre spécialiste français du haïku, René Etiemble, qui écrivait en 1995 dans un ouvrage « Du haïku » aujourd’hui introuvable :

Commentaires empreints de spiritualisme vaseusement œcuméniques, bavard impénitent pillé par les traducteurs de haïku ignorant le japonais.

 

 

A partir de cette époque, d’autres auteurs de talents ont diffusé ce genre poétique en proposant des compositions originales. On peut citer Allan Ginsberg, Jack Kerouac (deux des trois membres fondateurs de la beat generation (166), Gary Snider et Richard Wrigth.

 

4-8-2: Allan Ginsberg

 

Ill. 70: Alan Ginsberg et Bob Dylan en 1975

 

L’œuvre de Allan Ginsberg fut marquée par le modernisme, les rythmes et cadences du jazz et de la pop, sa foi bouddhiste et hindouiste, son ascendance juive et son homosexualité. Il fut l'artisan du rapprochement idéologique entre les beatniks des années 1950 et les hippies des années 1960, fédérant autour de lui des hommes comme Gregory Corso, Jack Kerouac, Neal Cassady, William Burroughs et plus tard Bob Dylan. On lui attribue le slogan « flower power » abondamment utilisé par la communauté hippie.

        Drinking my tea
        Without sugar-
        No difference.

        Looking over my shoulder
        my behind was covered
        with cherry blossoms.

        My mother's ghost:
        the first thing I found
        in the living room.

        Buvant mon thé

        Sans sucre –

        Pas de différence

        Regardant par-dessus mon épaule

        Mon dos était couvert

        De fleurs de cerisiers

        Le fantôme de ma mère :

        La première chose que j’ai trouvée

        Dans la salle de séjour

         

4-8-3: Gary Snyder

 

 

Ill. 71: Gary Snyder

Gary Snyder est né en 1930 à San Francisco. Poète, traducteur, penseur et activiste américain, il est une figure importante au sein des mouvements de la Beat Generation. En 1956, il émigre au Japon où il réside dans des temples bouddhistes de la secte Rinzai Zen et il traduit des textes religieux anciens pour le compte du First Zen Institute of America. En 1967 il participe au Human Be-In de San Francisco et fonde un ashram (167) avec Nanao Sakaki sur l'île volcanique de Suwanose au sud du Japon. En 1969, il revient aux États-Unis et fonde une communauté rurale. Dès lors, il développe et met en pratique ses concepts de « ré-habitation » du territoire et de « biorégionalisme ». Il a publié plusieurs livres à partir de 1959 (poésie, essais, récits de voyage traduits dans une vingtaine de langues). Il a obtenu le prix Pulitzer en 1975 pour son recueil poétique Turtle Island.

Ci-après, quelques haïku (168) de Gary Snyder :

         

        They didn’t hire him

        So he ate his lunch alone

        The noon whistle

        Ils ne l’ont pas embauché

        Il mange son déjeuner seul :

        Sirène de midi

        Cats shut down

        Deer thread through

        Men all eating lunch

        Le chat sommeille

        Le daim s’esquive

        Les hommes déjeunent

        Frying hotcakes in a dripping shelter

        Fu Manchu

        Queets Indian reservation in the rain

        Cuisant des crêpes dans un abri fuitard

        Fu Manchu

        La réserve indienne de Queets sous la pluie

        A truck went by

        Three hours ago:

        Smoke Creek desert

        Un camion est passé

        Il y a trois heures:

        Le désert de Smoke Creek

        Jackrabbit eyes all night

        Breakfast in Elko

        Yeux de lièvre toute la nuit

        Petit déjeuner à Elko

        Old kanji hid by dirt

        On skidroad Jap town walls down the hill

        To the Wobbly hall

        Un vieux kanji couvert de terre

        Sur une pente glissante

        Une ville japonaise en ruines

        Vers la loge syndicale

        Spray drips from the cargo-booms

        A fresh-chipped winch

        Spotted with red lead

        Young fir –

        Soaking in summer rain

        Les embruns dégoulinent des grues

        Un éclat de peinture sur le palonnier

        Laisse apparaître du minium

        Un jeune sapin

        Baignant dans la pluie d’été

        Scrap brass

        Dumpt off the fantail

        Falling six miles

        Des rebus de laiton

        Largués à la poupe

        Descendent sur six miles

        Sunday dinner in Ithaca

        The twang of a bowstring

        Dimanche, dîner à Ithaca

        Le bruit d’une corde tendue

        After weeks of watching the roof leak

        I fixed it tonight

        By moving a single board

        Après des semaines à regarder le toit fuir

        Je l’ai réparé cette nuit

        En déplaçant une seule planche

        Stray white mare

        Neck rope dangling

        Forty miles from farms

        Une jument blanche égarée

        La longe ballante

        A quarante miles de la ferme

 

 

 

4-8-4: Jack Kerouac

         

Alors je vais inventer

Le haïku de type américain :

Un triolet avec des rimes simples : -

Dix-sept syllabes ?

Non, comme je l’ai dit, des Pops américains : -

Tout simplement un poème de trois lignes

 

Jack Kerouac, de son vrai nom Jean-Louis Lebris de Kerouac, naît dans le Massachusetts en 1922, dans une famille québécoise conservatrice ayant émigré en Nouvelle-Angleterre.

Sa première langue est le français, il n'apprend l'anglais qu'à l'âge de six ans. Avant ses dix ans, il se découvre une passion pour l'écriture, qui se manifeste d'abord par le carnet qu'il transporte tout le temps avec lui et par ses longues lettres à ses proches. Grâce à ses talents d'athlète, il obtient une bourse pour l'université de Columbia, à New York. Mais après sa mise à l'écart de l'équipe de football, il met fin à ses études et va vivre chez une ancienne petite amie. Il rencontre ses futurs camarades de voyage, membres de ce qu'il va nommer la Beat Generation (165).


Il s'engage en 1942 dans la marine marchande, puis dans la marine militaire, mais n'est pas mobilisé pour la seconde guerre mondiale. Entre ses voyages, il est à New York avec ses amis de Columbia, où il loge souvent dans l'appartement de sa mère. Il travaille sur son premier roman, publié en 1950, « The Town and the City», qui lui apporte une certaine reconnaissance. « Sur la route » naît  en 1951, après trois semaines d'écriture spontanée sous benzédrine, mais ne trouve pas d'éditeur, à cause de son style expérimental et de positions envers les minorités à contre-courant de l'Amérique des fifties.

Au cours de ses pérégrinations des années 50, il écrit plusieurs ouvrages autobiographiques, tous refusés. Sur la route est finalement acheté en 1957 par Viking Press, qui demande des révisions majeures. Le style nouveau, libre et influencé par le be-bop, et les thèmes non matérialistes du roman (qui raconte ses voyages en auto-stop avec Cassady au travers des Etats-Unis et du Mexique, au fil des rencontres et des liaisons amoureuses et amicales) lui apportent un grand succès d'estime, certains voyant en Kerouac un nouveau grand écrivain. Il se retrouve bombardé contre son gré porte-parole de la Beat Generation.


Sa découverte du bouddhisme en 1954 influence considérablement un autre roman largement autobiographique contant ses aventures avec les poètes de San Francisco, The Dharma Bums (Les Clochards célestes). Le succès de Sur la route le met très mal à l'aise. Il s'éloigne de Ginsberg, à qui il reproche de trop chercher à se mettre en avant et de trahir ainsi l'esprit Beat. Le développement de la mode bouddhiste, dont il a pourtant été un des promoteurs, l'irrite.


Il écrit la plus grande part de son œuvre dans les années 60, notamment Le Vagabond solitaire en 1960 ; Big Sur en 1962 ; Visions of Gerard en 1963, inspiré par la mort de son frère alors qu'il avait quatre ans ; Anges de la désolation en 1965.


Kerouac meurt en 1969 d'une cirrhose du foie due à ses excès d'alcool et de benzédrine.

         

         

Ill. 72 : Jack Kerouac

         

Jack Kerouac est principalement connu en temps qu’écrivain de romans, en particulier pour « Sur la route », et comme représentant d’une certaine jeunesse désabusée et en rébellion qui allait créer la Beat Generation. Mais ce fut aussi un poète prolixe.

Sa poésie se caractérise par l’utilisation de formes extrêmement libres, le recours à une syntaxe propre, à un vocabulaire et à des sujets crus, parfois volontairement dans le domaine de l’obscénité ou du trivial. Au contact de la poésie californienne, il évolua vers les formes et les thèmes poétiques bouddhistes. Mais c’est le bouddhisme Zen et la forme du haïku, découvert avec Gary Snyder et Lew Welch, qui l’influença le plus fortement. Il écrivit avec ce dernier de nombreux haïku publiés après la mort des deux auteurs.

« Les haïku », écrivit-il, « ont été inventés et développés pendant des centaines d’années au Japon pour être un poème complet en dix-sept syllabes, et pour représenter en trois courtes lignes toute une vision de la vie ». Trouvant que les langages occidentaux ne pouvaient pas s’adapter à la «  fluidité du parlé japonais », il décida de redéfinir le genre.

« Je propose que le « haïku occidental » soit défini comme étant trois courtes lignes qui en disent beaucoup, et ce dans n’importe quel langage occidental. Surtout, un haïku doit être simple et dénué de tout artifice poétique, et à la fois décrire une petite scène et être aussi léger et gracieux qu’une pastorella de Vivaldi ».

Kerouac a écrit des centaines de haïku de 1956 à 1966 sur des carnets qu’il emportait partout avec lui pour noter immédiatement ceux qui lui venaient à l’esprit, fraîcheur et spontanéité. Cet adepte de la notion de « première idée meilleure idée » n’en a pas moins travaillé intensément ses poèmes, et sélectionné de manière sévère ceux qu’il retiendrait pour publication.

         

        A big fat flake
        of snow
        Falling alone

        All day long,
        wearing a hat
        That wasn't on my head

        And the quiet cat
        sitting by the post
        perceives the moon

        Un dodu flocon
        De neige
        Tombe tout seul

        Toute la journée,
        J'ai porté un chapeau
        Qui n'était pas sur ma tête

        Le chat silencieux
        Assis près du poteau
        Perçoit la lune

         

        Arms folded
        to the moon,
        Among the cows

        Beautiful young girls
        running up the library steps
        With shorts on

        Big drinking and piano
        parties - Christmas
        Come and gone

        Bras croisés
        Sous la lune,
        Au milieu des vaches

        De superbes jeunes filles
        Grimpent les marches de la bibliothèque
        En short

        Longues soirées d'alcool
        Et de piano - Noël
        S'en est allé

         

        The windmills of

        Oklahoma look

        In every direction

        Les moulins à vent de

        L’Oklahoma regardent

        Dans toutes les directions

         

        One flower

        On the Cliffside

        nodding at the canyon

        Une fleur

        Sur la falaise

        Salue le canyon

        Et enfin on peut noter des poèmes que Kerouac reconnaissait ne pas être des haïku, mais construits sur le même « modèle », tel celui-ci sur Mao :

         

        Mao Tse Tung

        Has taken too many sacred siberian

        Musrhoms in autumn

        Mao Tse Tung a pris

        Trop de sacrés sibériens

        Champignons en automne

         

        Si on retient la satire – et je ne suis pas sûr que cela l’était à l’époque – et la dérision, voir ce dictateur succomber au pouvoir des amanites tue-mouches, vaut bien un senryu.

         

         

4-8-5: Et même Stephen King !

 

 

Ill. 73 : It (ça) de Stephen King

 

Oui, et même Stephen King qui fait une étude des haïku dans un de ses chefs d’œuvres. « ça  (It en anglais) » dont je vais faire une traduction rapide ci-dessous (et sans rappeler l’histoire de 1093 pages de ce roman….).

 

Ben, onze ans, alors qu’il est dans la bibliothèque de la ville de Derry, voit une annonce incitant à profiter de la bibliothèque de la ville pour écrire à un ami. Il se décide à écrire à Berverly à qui il n’a jamais osé avouer son admiration, voire son amour. Il vient de payer quatre cents pour avoir une enveloppe, un timbre et une carte. Il lui reste à écrire….

 

« Pendant la dernière semaine de classe avant les examens, ils avaient lu et écrit des haïku pendant le cours de littérature anglaise. Le haïku était une forme de poésie japonaise, brève et disciplinée. Un haïku, disait madame Douglas, ne pouvait avoir que dix-sept syllabes, pas plus, pas moins. Il devait usuellement se concentrer sur une image précise qui était liée à une émotion spécifique : tristesse, joie, nostalgie, bonheur …, amour.

Ben avait été intéressé au plus haut point par le concept. Il aimait bien le cours de littérature anglaise, mais sans que cela ne dépasse un intérêt moyen. Il pouvait faire le travail demandé, mais il n’y avait rien qui le passionnait. Cependant il y avait quelque chose dans le concept du haïku qui enflammait son imagination. L’idée le rendait heureux, de la même façon que l’explication de madame Starret sur l’effet de serre l’avait rendu heureux. Les haïku, c’était de la bonne poésie, pensait Ben, parce que c’était de la poésie structurée. Il n’y avait pas de règle secrète. Dix-sept syllabes, une image associée à une émotion, et vous y étiez. Bingo. C’était propre, c’était utilitaire, tout était contenu dans le poème lui-même et dépendait de ses propres règles. Il aimait même le mot lui-même, un glissement d’air interrompu comme le long d’une ligne pointillée par le son « k » à l’arrière de la bouche : haïku.

« Ses cheveux ! », pensa t-il, et il la vit descendant les escaliers de l’école, ses cheveux flottant sur ses épaules. Le soleil ne paraissait pas seulement briller sur eux, mais brûler en leur sein.

Il travailla assidûment pendant plus de vingt minutes (avec une pause pour retourner prendre du papier brouillon), barrant des mots qui étaient trop longs, changeant, effaçant, Ben arriva enfin à ceci :

 

Tes cheveux sont le feu de l’hiver

Janvier est braise.

Mon cœur brûle ici, aussi. »

 

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