4-9: Les haïjin contemporains en France
Je crois que l’on peut distinguer en France deux périodes,
ou deux vagues, d’intérêt pour les haïku
. Pour la première, on vient d’en voir les principaux acteurs, elle s’est
située au début du vingtième siècle. La deuxième est beaucoup plus récente,
et sans doute un peu en retard par rapport à ce qui s’est passé dans le
monde anglo-saxon. Le développement d’internet a sans doute été un moteur
fort dans ce renouveau, permettant à un grand nombre d’auteurs de « publier »
leurs œuvres. Tout cela a résulté en une production massive, dans laquelle le
bon grain est très souvent mêlé à l’ivraie. Jean Antonini a publié une
anthologie du haïku en France aux éditions
Aléas [5.2.1.8
] qui donne une bonne vision de la production « contemporaine ».
Avant que de donner quelques exemples de ces haïku
, pour le plaisir de la lecture bien sûr, mais aussi parfois pour donner des
exemples de ce que je considère comme étant un dévoiement de l’esprit du
genre (mais je ne ferai pas le tri….), je voudrais citer la postface de ce
livre, écrite par M. Ban’ya Natsuishi, co-fondateur de l’association
mondiale du haïku, et professeur à l’université Meiji de Tokyo
. Ce commentaire est si « négatif » venant d’un Japonais, que je
m’étonne que sa politesse, le sens des convenances, ne l’aient pas empêché
de le proposer…. Mais soit :
« Pendant plus d’un demi-siècle,
la langue française a oublié le haïku
, cette petite boîte de Pandore. Je ne
sais pas si cet oubli est favorable pour la langue française. Mais après les
rides, la vague vient à la fin du 20° siècle.
Quand j’ai séjourné
à Paris comme chercheur invité par l’Université Paris VII, de 1996 à 1998,
j’ai rencontré plusieurs poètes de haïku
en
français. Leur ardeur pour le haïku était étonnamment ferme. Nous avons parlé
des possibilités du haïku contemporain au-delà de la différence des langues.
Maintenant, on voit
le deuxième miracle du haïku
en
français (et aussi en breton et occitan !). Le miracle est cette
anthologie de haïku réalisée par Jean Antonini que j’ai rencontré pour la
première fois à Marseille, en 1997, à l’occasion d’une rencontre de haïjin.
Même si tous les haïku
recueillis
ici ne sont pas des perles, je me réjouis des descriptions précises, des
esprits proprement dits « français », des réflexions ontologiques.
On peut imaginer le troisième miracle du haïku après la publication de cette
anthologie. »
J’imagine très bien ce docte professeur, la tête basse,
évitant soigneusement de regarder son interlocuteur en face pour ne pas le
blesser au-delà de ce jugement sans appel…..
Mais j’imagine qu’il raisonnait en fonction de la signification
proprement japonaise du haïku
, sans vouloir exprimer, mais peut être était-ce là son but dans cette
critique, que l’esprit français, pétri de cartésianisme, ne pourrait jamais
atteindre l’élégance de l’esprit du haïku.
N’empêche, que l’esprit soit respecté ou non, parmi les plus de huit
cents haïku
de cette anthologie, il y en
a qui procurent un réel plaisir à leur lecture, et au-delà du mot utilisé
pour les désigner, c’est peut être cela l’essentiel….
Avec son chariot
Seins coupés
Face aux gondoles
Dagades
|
|
Toc ! sur les vitres
Comme elles se cognent
Les mouches.
Dagades
|
Cendres
Long temps à brûler des
ronces
Au soir ton habit
Sent la fumée des rêves
Robert
Gaud
|
|
Sous le cerisier en fleurs
Même la jeune fille
N’ose s’aventurer
Gabriel
Le Gal
|
Si le train tardait à
partir
Qu’en serait-il
De l’ardeur des baisers
Du pathétique des adieux ?
Gabriel
Le Gal
|
|
Dans l’air mouillé
Un volet bat
Longue journée d’automne
Bruno
Sourdin
|
La douleur, ah !
Réveil en sursaut
Sur un lit d’hôpital
Bruno
Sourdin
|
|
Sous un ciel trop gris
Pour voir passer un héron
Un hiver s’étire
Patrick
Blanche
|
Brûler
Et à force de brûler
Devenir cendres
Clod’Aria
|
|
Les pins violets
L’écorce craque
Un écureuil somnole
Georges
Friedenkraft
|
Un seul idéogramme
Auquel je n’entends rien
M’ouvre l’Asie secrète
Michel-François
Lavaur
|
|
Balançoire d’une feuille
Morte pendue à une toile
Sans araignée
Jean-Marc
Demabre
|
A la pointe d’une herbe
Une fourmi tente en vain
De gravir le ciel
Bruno
Hulin
|
|
Sur le sol gelé
Une poule hésite à
Poser l’autre patte
Bruno
Hulin
|
Un oiseau, croit-on
Au sommet du peuplier,
Cette ultime feuille…
Claude
Le Roy
|
|
Conducteur poids lourds
Cherche danseuse légère
Désespérément
Jean-Claude
Touzeil
|
Lisant des haïku
Chat endormi sur les genoux
Le sommeil me gagne
Eliane
Biedermann
|
|
Un cheval couché
Okimono en ivoire
Triangle d’azur
Chantal
Viart
|
Deux oiseaux
Passent :
Comble du bleu
Francine
Caron
|
|
Vous aviez quinze ans…
Ah ! le goût ce
printemps-là
Qu’avaient les cerises !
Henri
Lachèse
|
La guerre est partout,
Le miracle est cependant
Que l’espoir demeure.
Irène
Gaultier-Leblond
|
|
Sur l’emplacement
Du World Trade Center,
l’ombre
Des tours voisines
Daniel
Py
|
Dans les ruines de Rome
Un portable sonne
Sous un Arc de Triomphe
Yves
Gerbal
|
|
L’hiver se rend.
Il envoie un crocus
Agiter ses pétales blancs.
Jean-Claude
Coiffard
|
Mon livre préféré –
Je vais le relire sous
Ce cerisier en fleurs
Gilles
Fabre
|
|
Infiniment belles
Les graciles graminées,
J’ai posé ma faux.
Jean-Pierre
Hanniet
|
Graines de tournesol
Mésange sur la fenêtre
Matinée d’automne
Maurice
Coyaud
|
|
TGV –
Les premières charolaises.
Il a gelé
Henri
Chevignard
|
Descendant du train,
La foule marche au pas
-- la nuit est finie
Pascal
Quéro
|
|
Toute ma vie,
J’ai marché les pieds nus
A la recherche de mes
pompes.
Jean-Claude
César
|
Une fourmi,
A la pointe extrême d’un
cyprès.
Immobile.
Jean-Claude
César
|
|
Un sac de ciment
Où une mouche se poudre
Et rêve du ciel…
Jean-Louis
d’Abrigeon
|
Poisson rouge observe
Aquarium salle à manger
Sole dans l’assiette
Martine
Morillon-Carreau
|
|
Au bord d’un remblai
La pavane d’un iris
Oublié de tous
Yvette
Poussel Celse
|
J’entends dans le vent
Contenu dans son entier
Le chant du monde
Marie-Lise
Roger
|
|
Dans la tasse fumante
La feuille de verveine
Soirée d’automne
Bertrand
Agostini
|
Le pêcheur
Un seau en guise d’hameçon
–
Il a pêché la lune !
Thierry
Alvés
|
|
Il pense aux goélands
Mais c’est la poulie
qu’il entend.
Hauts murs de la cour.
Marilyne
Bertoncini
|
Cloches dans la ouate
La neige étouffe les pas
La nuit de Noël
Emile
Guillaumond
|
|
A trop s’occuper
Des saints de l’église
elle a
Oublié les siens
Daniel
L’Homond
|
Cerises d’été
Pointillent notre verger
De gouttes de sang
Christiane
Verlon
|
|
La Liberté pleure
Mais personne ne l’entend.
Si !... toi, le poète !
Christiane
Verlon
|
Et quelques haïku
en langues « régionales »
pour terminer :
En breton :
Ennomp da vad
Un envor henvel ouzh maen
Buhez ennan ataw
Alain
Kervern
|
Toujours en nous
Une histoire pétrifiée
Qui respire encore
|
Park
ar peulvanou
Ur
bagad saout laezh
Ur
paotr-saout tredanel
Fanch
Peru
|
Champ des menhirs
Un troupeau de vaches
laitières
Un vacher électrique
|
O !
eur vleunienn hlaz
Er
wezenn-gerz ? Ha nann !
Eur
hornig oabl.
Youenn
Brusk
|
Tiens! Une fleur bleue
Dans le cerisier? Que non !
Un coin de ciel
|
Ensilet
gand luc’h
Eun
aezenn denval
Teotihuacan
Rozenn
Milin
|
Infiltrée de l’éclat
D’une brume sombre
Teotihuacan
|
Quetzalcoatl
Doue
mac’hom
A
houlenn gwad
Rozenn
Milin
|
Quetzalcoatl
Dieu exigeant
Réclame le sang
|
En occitan :
Sul
cledon de la prada
Una
graula obledada
Per
la neu e la brada
Michel-François
Lavaur
|
Sur le portail du pré
Une corneille oubliée
Par la neige et le givre
|
Brancas
retortas
Lo
garric emmaliciat
Prega
las nivols
Sergi
Viaule
|
Branches tordues
Le chêne furieux
Prie les nuages.
|
En Gallo :
Pllée de basse séson
Su le chemin une fome versée
Come si q’o sortiroet
d’un put
|
Pluie d’automne
Sur le chemin une femme
trempée
Comme si elle sortait
d’un puits
|
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