Ill.
21
: Hiroshige
–
Bashô
Garden
|
La
vie de ce fils de samouraï, né près de Kyoto
en
1644, fut exclusivement vouée à
la poésie. Âgé
de treize ans, il apprend auprès d’un maître du haïkaï
les
premiers rudiments de ce genre. Plus tard, après
avoir lui-même fondé une école et connu le succès à Edo
(l’actuelle
Tokyo
), il renonce à la vie mondaine, prend l’habit
de moine, et s’installe dans son premier ermitage.
Devant sa retraite, il plante un bananier, un
bashô,
offert par l’un de ses disciples - ce qui lui vaudra son pseudonyme. Sa vie
est dès lors faite de pauvreté, d’amitiés littéraires et de voyages. Osaka
sera le dernier. Après avoir dicté un ultime haïku
à ses disciples éplorés,
il cesse de s’alimenter, brûle de l’encens, dicte son testament, demande à
ses élèves d’écrire des vers pour lui et de le laisser seul. Il meurt le 28
novembre 1694. Sur sa tombe, on plante un bashô.
|
Ill.
22
: Bashô
sous
"son" bananier
Bashô
est
l’une des figures majeures de la poésie classique japonaise(34). Par la force de son œuvre, il a imposé dans
sa forme l’art du haïku
, mais il en a surtout défini la manière,
l’esprit : légèreté, recherche de la simplicité et du détachement
vont de pair avec une extrême attention à
la nature. Le
haïku naît donc au bord du vide, de cette intuition soudaine, qui
illumine le poème, c’est l’instant révélé dans sa pureté.
Ill.
23
: Bashô
par
Hokusaï
Quelques exemples(35)
de haïku
par
Bashô
[
5.2.1.2
]:
Dans le champ de colza
Les oiseaux font mine
De contempler les fleurs
|
Vieil étang
Au plongeon d’une
grenouille
L’eau se brise
|
Sous les fleurs d’un
monde flottant
Avec mon riz brun
Et mon saké blanc
|
|
Herbes folles de l’été
Où frémit encore
Le rêve de guerriers
|
Nuit d’été
Le bruit de mes socques
Fait vibrer le silence
|
Le
cri des cigales
Vrille la roche
Quel silence !
|
|
Ce couchant d’automne
On dirait
Le pays des ombres
|
Cruauté cruauté
Sous le casque
Un criquet
|
Sur
ce pont suspendu
Nos vies s’enroulent
Aux sarments de vigne
|
|
Poireaux lavés
Poireaux tout blancs
Comme ils ont froid
|
Au point du jour
En tourbillons de brume
La voix de la cloche
|
Dans
ce jardin
Un siècle
De feuilles mortes
|
|
Le
renouvellement de la poésie initié par Bashô
s’est trouvé renforcé par le
travail de ces disciples qui ont créé des écoles de poésies dans différentes
villes, et qui ont compilé des anthologies de haïku
selon la manière de leur maître.
Sakuma Ryûkyo
, fonctionnaire du bakafu et rénovateur
du Shômon(36)
d’Edo
, à la fin des années
1730 a
édité en douze volumes un choix de livres présentant des poèmes suivant
l’enseignement ou l’exemple de Bashô, les Sept livres du haïkaï
, qui sont devenus les livres canoniques du haïku.
Ces sept livres sont «
La calebasse
», « Le faucon impatient
», « Jours d’hiver
», « Jours de printemps », « Friches
», « Le sac à charbon
» et « Le manteau de pluie du singe
».
Kakei
d’Owari
, ou Yamamoto Kakei, médecin à Nagoya a publié « Les jours d’hiver »
en 1684, « Les jours de printemps » en 1686 et « Friches
» en 1690. Ce sont des recueils de haïku
de l’école d’Owari. Le plus
important est « Friches » [5.2.1.11
], qui sur un total de 3422 poèmes réunis dans les sept livres de l’école
de Bashô
en présente 1078, écrits par 181
auteurs. Si certains ne sont cités que pour un seul verset (97), il y a 53
versets de Bashô, 101 de Kakei lui-même, 114 de Etsujin
et 97 de Okada Yasui
, soient, hors Bashô, les piliers du groupe dont ils étaient les principaux
animateurs, et sans doute les fondateurs.
René Sieffert
a traduit les sept livres, et a
proposé pour chacun des poèmes des commentaires qui permettent de comprendre
leur élaboration, les références auxquelles ils renvoient, et par là, qui
aident à pénétrer quelque peu la culture japonaise. Comme cet ouvrage doit
aussi être l’occasion de lire une sélection de bons haïku, j’en ai sélectionné quelques-uns que je donne ci-après.
« Friches
» est composé de trois parties :
Friches
1 :
les quatre saisons, comportant cinq livres et une préface de Bashô
. Le premier livre présente une sélection thématique sur les « fleurs »,
le « coucou », la « lune » et la « neige »,
les quatre autres livres sont dédiées aux quatre saisons, printemps,
été,
automne et hiver.
Friches
2 :
Réminiscences, comportant trois livres, le sixième (donc) présentant des
« divers » ; le septième une sélection thématique sur les
« lieux célèbres », les « voyages », les « réminiscences »,
les « amours » et « l’impermanence » ; le huitième
une sélection de haïku
sur l’enseignement du bouddha (Shaka
en japonais), sur les Dieux du ciel et de la terre, et sur les vœux.
Friches
3 :
Dix Kasen(37)
Fleurs :
Ça alors ça alors
Pour les fleurs de Yoshino
Il n’est d’autre mot(38)
|
Que sont ces façons
D’aller voir les fleurs
muni
De cette rapière
|
Teishitsu
|
Kyoraï
|
Ill.
24
: Hokusaï
: Mont Yoshino
(cerisiers
en fleurs)
Les fleurs qui tombent
Sont voleuses de saké
Voleuses de saké
|
Advienne que pourra
Hormis les premières fleurs
J’oublie tout le reste
|
Funsen
|
Yasui
|
Ah le malotru
Vendre des
moulinets
En ce temps de
fleurs(40)
|
Ni lune ni fleurs
Pour boire son saké
Il est là tout seul
|
Hakushi
|
Bashô
|
Coucou :
Ill.
26
: Hiroshige
-
Coucou sous la pluie |
Au chant du coucou
Sans vergogne le
corbeau
A mêlé sa voix
Sodan
|
Ah quelle est ma joie
Avant que de m’endormir
Le chant du coucou
Kyô.u
, de Gifu
|
Ill.
25
: Hiroshige
-
premier coucou de l'année sur Tsukudajima
|
Dans l’azur du ciel
Le voilà qui va chantant
Le coucou
|
J’ai failli manquer
Lui que réveillé
j’entends
Le chant du coucou
|
Rakugo
|
Sanka
|
Le chant du coucou
Où me placer pour
l’entendre
Dans la vaste lande
|
De cette chandelle
La lumière est importune
Au chant du coucou
|
Ryûfû
|
Etsujin
|
La lune :
Ah la lune claire
Et se promener
pieds nus
Au milieu des
herbes
|
Maison isolée
Quel magnifique spectacle
Que la lune de ce jour
|
Sanka
|
Kidô
|
Ill.
27
: Hiroshige
-
deux lapins et la lune
Neige :
Eh bien donc allons
Pour voir la neige jusqu’à
Tomber épuisé
|
A l’horizon s’étagent
Montagnes coiffées de neige
Et montagnes nues
|
Bashô
|
Kasei,
de Kyotô
|
Neige des bambous
Tombe et en pleine nuit
Pépient les moineaux
|
Première neige
Après l’avoir contemplée
Je me suis lavé
|
Jinkô
|
Etsujin
|
Première neige
La porte ne s’ouvre de la hutte
Dont le maître est absent
|
Ecume de neige
S’est répandue sur le riz
Dont on fait le sakè
|
Zékô
|
Kakei
|
Ill.
28
:
Hiroshige
-
Neige à Kameyama
Première neige
Les sandales font
l’affaire
Jusque chez le
voisin
|
Petites oranges
Et châtaignes ramassons
Pour la porte au pin
|
Rotsû
|
Shûsen
|
Nouvel an :
Ne servant pour la
parure
Il vit de longues
années
Le chêne puissant
|
Plus que les bouddhas
On vénère les kami
(2)
Matin de printemps
|
Isshô
|
Tomé,
de Kyôto
|
Misère ah misère
Devant le dieu en
ce jour
Rien qu’un tas
d’orge
|
Le rossignol
M’a fait renverser l’eau
Puisée ce matin
|
Kakei
|
Baïzetsu
|
Printemps :
Ill.
29
: Hiroshige
-
Grenouille sous un rosier jaune
|
A peine le temps
De voir fleurir les
jonquilles
Et printemps est là
|
Point d’oies sur l’étang
Seuls des saules qui
s’exercent
A tracer des kana
|
Rotsû
|
Sodô
|
On a beau toucher
La chevelure du
saule
Elle ne se dérange
|
Sans qu’on les voie bouger
Ils ont labouré les champs
Aux pieds des monts
|
Kyô.u
|
Kyoraï
|
Un vaste jardin
Un unique cerisier
Il avait planté
|
Au vent du printemps
Elle mesure ses forces
L’alouette
|
Shôsô
|
Yasui
|
A force de crier
Son visage en est
tout rouge
Ah le faisan
|
Les mains au sol
Elle vous dédie sa chanson
La grenouille
|
Issetsu
|
Sôkan,
de Yamazaki
|
Eté :
Sur la jeune
feuille
Chatoyant s’est
reposé
Le papillon
|
A chaque pétale
Qui tombe l’enfant ramasse
La fleur de pavot
|
Chikudô
|
Kichiki
|
En puisant de
l’eau
Sur ma manche
Un ver luisant
|
Pluies de la cinquième
lune
Le saule est en
grand péril
A la lisière des
eaux
|
Ôho
|
Ichiryû,
d’Ôtsu
|
Ill.
30
: Hokusaï
-
Pivoines et papillon
Les belles-du-soir
Tout le monde les
ignore
Une fois flétries
|
Dispersées au vent
Sur l’eau s’en vont flottant
Les fleurs de lotus
|
Yasui
|
Shûsei,
de Gifu
|
Automne :
Il n’a plus de
force
Après la moisson
du chanvre
Le vent de
l’automne
|
Une seule feuille
Qui tombe fait un bruit
Formidable
|
Etsujin
|
Senka
|
Le grillon des pins
Après notre
passage
S’est remis à
chanter
|
Au brame du daim
Ils se sont regardés
Dans le crépuscule
|
Ippatsu
|
Ippatsu
|
Chrysanthème
Des chemins de
montagne
Et des champs sont
deux
|
Dans ma solitude
Au bruit d’un gland tombé
Me suis réveillé
|
Etsujin
|
Roséki,
de Mino
|
Ill.
31
: Hokusaï
-
Feuilles d'érable d'automne sur le fleuve Tsutaya
Ne laisse le vent
Te jeter contre le
pin
Papillon
d’automne
|
Comme si la feuille
Parlait à une autre feuille
Bruit de la rosée
|
Shûsen
|
Sodan
|
La nuéelà-bas
De l’éclair elle
attend
La visite
|
Champs et rizières
A lui seul sont confiés
Ah l’épouvantail
|
Bashô
|
Issen,
d’Iyo
|
Hiver :
Ill.
32
: Hiroshige
:
feux d'artifice du jour de l'an
|
De ciel et de terre
Le discours
interrompu
Par la froide
averse
|
Feuille après feuille
Feuilles du plaqueminier,
Toutes sont tombées
|
Koshun
|
Kakei
|
Une fois brûlées
Les feuilles reste
l’ennui
A l’entour de
l’âtre
|
La fleur de thé
Par le plus grand des hasards
Je l’ai aperçue
|
Ippatsu
|
Rishin
|
Qu’elle est
plaisante
Dans la fente du
mortier
La fleur de
tussilage
|
Sur l’évier
J’ai retrouvé les légumes
Tout couverts de glace
|
Kokyû
|
Shôkichi
|
Chaudement vêtu
Sur le traîneau il
se prélasse
Odieusement
|
A Grand sueur
On garnit au fond du val
Les glacières
|
Kakei
|
Tôshô
|
C’est moi qui
l’ai écrit
Mais je n’arrive
à tout lire
Au déclin de
l’an
|
Le printemps est proche
On déplace le bois à brûler
Au champ de colza
|
Shôhaku
|
Kidô
|
Lieux
célèbres:
De Karasaki
Le pin plutôt que
les fleurs
De brume voilé
|
A Karasaki
Passant la nuit j’ai trouvé
La première averse
|
Bashô
|
Zuiyû,
d’Iyo
|
Ill.
33
: Hiroshige
-
averse de nuit sur Karasaki
Voyages:
Plus que l’alouette
Haut dans le ciel me repose
Au sommet du col
|
A peine ai-je dormi
Qu’en l’auberge on cuit le riz
Car tôt point le jour
|
Bashô
|
Tôshô
|
Pleurant et
pleurant
A votre manche
s’accroche
Cigale d’automne
|
A la Tenryû-gawa
Il se pourrait qu’on vous batte
Par un soir de neige
|
Issei
|
Etsujin
|
Ill.
34
: Hiroshige
-
Vue du fleuve Tenryû
En voyage donc
J’aurai vu de ce
bas monde
Le grand nettoyage
|
D’herbes l’appuie-tête
Trempé par l’averse un chien
Hurle dans la nuit
|
Bashô
|
Bashô
|
Réminiscences:
Ill.
35
: Hiroshige
-
Faisan sur un pin sous la neige
|
Seule pour garder
Son enfant la veuve
pioche
Sa rizière
|
Interdire son champ
A la grenouille étrangère
Est bien de ce monde
|
Kaïsen
|
Rakugo
|
De mes père et mère
Le souvenir
m’envahit
Au cri du faisan
|
A la maison louée
J’ai voulu de chrysanthèmes
Me faire une haie
|
Bashô
|
Gyôgo
|
Oh le pays natal
Sur mon cordon
ombilical je pleure
Au déclin de
l’an
|
La bouillotte
De ma mère doit être froide
Au son de la cloche
|
Bashô
|
Sodan
|
Amours:
Sur la lande
printanière
Celle-là d’un cœur
sincère
Se montre visage nu
|
Quittée la moustiquaire
Voir son visage ensommeillé
Ajoute aux regrets
|
L’épouse
d’Ichiyû, d’Isé
|
Chôkô
|
Au milieu des pins
Sous l’averse le
cortège
De la mariée
|
Au petit matin
Prenant la grêle pour prétexte
Il est revenu
|
Shunji
|
Tôshô
|
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