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1-3: Le jardin japonais, révélateur de l’âme

 

Le jardin est d’abord un moyen d’approcher l’essence des choses, une beauté qui se situe au-delà du visible et du rêve.

 

La vérité est multiple, il n’y a jamais une seule vérité qui soit vraie. Le jardin se découvrira au travers d’une multitude de perspectives qui représentent la vérité multiforme. Le chemin change sans cesse de direction, ses tronçons de longueur, la perception des promeneurs change sans cesse. Le parcours ne débouche jamais sur un coup d’œil qui permettrait d’avoir une vision d’ensemble d’un paysage, une vue panoramique ou une perspective. Au contraire, le promeneur doit s’égarer, quand il ne saura plus où il est, il pourra ressentir le sentiment du paysage. L’ennemie mortelle de cette forme de beauté est la hâte [5.2.2.8 ].

 

Les jardins présentent aussi une interaction sans fin des végétaux et des minéraux. L’éternité n’est qu’une succession des instants, et la vie, sans cesse renouvelée, en est la meilleure marque. Ainsi la pierre, symbole d’éternité, ne saurait être présentée sans le végétal, symbole de la vie. Il y a dans tout jardin japonais une philosophie du temps. L’eau y représente la fuite du temps, mais aussi la vie toujours renouvelée. Elle se faufile d’une composition à l’autre, parfois élément essentiel, parfois juste pour rehausser l’impact d’une composition végétale ou minérale, parfois elle-même, parfois symbolisée par des graviers.


Ill.  3 : Jardin du temple de Chion-in , Kyoto , 10/08/2008 (photographie de l’auteur)

 

Une comparaison des styles de jardins dans le monde peut être assez révélatrice, et permettre de définir en ombres chinoises, par le contraste avec nos pratiques occidentales, les spécificités de cet art au Japon.

On peut en distinguer quatre, le jardin anglais, le jardin français, le jardin italien et le jardin japonais.

En Angleterre, tout l’art des jardins a consisté à représenter la nature d’une manière si fidèle qu’on n’ait pas l’impression de se trouver dans un jardin. L’ordre est d’autant plus efficace, d’autant plus estimable, qu’on le voit à peine.

 

 

Ill.  4 : Painshill Park

 

En France le jardin, au moins celui du dix-septième siècle, c’est exactement l’inverse. Un ordre extrême imposé à la nature. Tout doit être visible, orchestré depuis ce centre et décliné dans des raisonnements qui s’emboîtent les uns dans les autres. La France, c’est le pays de l’ordre, de la loi, c’est d’ailleurs son nom en chinois : Fa Guo.

 

Ill.  5 : Jardins du château de Vaux-le-Vicomte

 

En Italie, dans des jardins souvent étagés, on a voulu incarner l’ordre à proximité de la demeure, des labyrinthes dans une sorte de deuxième espace, et l’on a tenu à représenter le désordre aux bords du jardin, comme s’il s’agissait de signifier qu’il n’est pas d’ordre sans désordre.

Les jardins ne sont pas seulement un décor autour d'une maison. Les végétaux dessinent des parterres géométriques, des allées aux perspectives fuyantes s'ouvrent sur le paysage alentour, faisant de ce paysage un élément esthétique du jardin. La symétrie, l'ordre et les proportions sont des éléments de base. La perspective devient prioritaire, rendant essentiels les plans dégagés, visibles de la maison ou d'une esplanade.  

Ill.  6 : Les Apennins - Statue de Giambologna -  Villa Médicis Demidoff - Pratolino  

 

 

La statuaire est intégrée au décor végétal, élevant l'âme vers la beauté suprême et fait de l'homme un demi-dieu créateur. La nature se reconnaît dans l'ordre que l'homme lui impose.

  En cascades, chutes d'eau contrôlées, jets d'eau, l'eau, arrachée à la pesanteur, est une illustration de la physique maîtrisée par l'homme. L'eau, c'est elle qui parcourt et lie les mondes minéral, végétal et animal, pour se déverser dans les bassins du jardin. Mais cette eau finit immanquablement dans des grottes obscures et mystérieuses.

 

 

Là, elle devient plus sage sous le règne du minéral : pierre ponce évocatrice des feux souterrains, cristaux de roche (Pratolino(4)) évoquant les richesses de ce monde intérieur, coraux et coquilles. Un monde minéral qui est peuplé de chimères, sphinges, monstres, sirènes et autres créatures de l'étrange : les grottesche(5) (grotesques). [5.1.2.8 ]

 

 

 

Ill.  8 : Jardins de la Villa Borghese

 

On ne peut pas finir de traiter des jardins sans évoquer les magnifiques jardins de pierres que l’on trouve en particulier dans la région de Kyoto .

 

Les jardins japonais ont incorporé tout au long de leur évolution des éléments empruntés aux domaines religieux et spirituels. Les premiers jardins japonais étaient associés à un certain prestige aristocratique. A l'ère Heian (794-1185), les principes d'agencement des éléments du jardin étaient clairement établis, comprenant notamment l'installation d’un point d'eau central (étang, petit lac) pouvant servir de promenade.  Avec l'influence bouddhiste, ils comprennent aussi (par l'usage de rochers) la référence aux montagnes mythiques de cette religion. [5.1.2.9 ]

 

Vers la fin du XIIème siècle, une nouvelle école bouddhique est introduite: le bouddhisme Zen . Cette école préconisait une pratique de la méditation qui devait conduire directement à la connaissance de la Vérité, sur le modèle du Bouddha lui-même. Les nouveaux jardins qui apparaissaient dans les monastères de cette école spirituelle devaient donc servir à la méditation tout en permettant de fixer la concentration.

 

Le jardin zen est basé sur des groupements de pierres (ishigumi  : 石組) d'apparence naturelle, rarement retravaillées par l'homme, entourées de sable minutieusement ratissé, ou dressées sur une colline artificielle, sorte de monticule élevé (tsukiyama  : 築山). Ces pierres représentent symboliquement des montagnes, des cascades ou des îles.

 

La répartition des pierres n'est pas le fruit du hasard mais obéit à une symbolique précise. L'usage de pierres dans les jardins japonais est très ancien. D'un côté, depuis les débuts de la civilisation japonaise, les rochers ont été considérés comme des demeures temporaires des entités divines du shintô, et vénérés en tant que tels. D'un autre côté, cet usage trouve son origine dans des concepts religieux et philosophiques introduits de Chine. Dans le bouddhisme japonais, la montagne sacrée est le Shumisen(6) , centre du cosmos entouré des Neuf Montagnes et des Huit Mers. A l'ère Muromachi(7), le Shumisen est encore représenté dans les jardins, mais sous la forme d'une pierre naturelle aux parois abruptes, dressée au milieu d'autres pierres représentant les Neuf Montagnes. D'autre part, les jardins secs des monastères sont souvent des groupements de pierres sur la base des chiffres 7-5-3 (shichi-go-san), nombres fastes correspondant à un carré magique propre à la pensée taoïque chinoise. On peut aussi citer un autre type de groupe de trois pierres, correspondant à la triade sacrée du bouddhisme(8).

 

Enfin, la présence de différents groupes de pierres sert à créer des centres d'intérêt multiples pour le regard, et à mettre l'accent sur les relations qui les unissent : le jardin forme un système complet.

Le magnifique jardin du temple Ryoan-Ji  à Kyoto  peut être pris comme symbole universel de ce mouvement. Depuis la plate-forme en bois du temple, on peut admirer ce jardin entièrement minéral, et dont l’étendue est clairement limitée par des murs en paille de riz qui font comme un rempart contre la végétation.

 

Ill.  9 : Jardin du temple Ryoan-Ji, Kyoto  – Août 2008 (photographie de l’auteur)

 

Quinze pierres sont posées sur une mer de gravier. De quelque endroit où on se place, la vue ne peut les saisir toutes. L’imagination est libre de voguer sur ces vagues figées pour se libérer, par un contraste saisissant, de cette permanence minérale.

 

Se perdre en soi même,

Sans fin ni commencement,

Suspendre le temps. 

 

Sable et pierres,

L’esprit en fait un dessein,

Pour chacun sa voix.  

 

Inexorable,

Elle coule, sans arrêt,

La vie nous échappe.

 

Vide, monotone,

Etendue sans images,

Tout est possible

 

Vagues identiques,

Le courant uniforme.

Non ! Clamer son moi !

 

Il est là, devant,

Seul, les autres le suivent,

Maître, exemple ?

 

Immense  monde

L’esprit se perd, impuissant.

Vacuité, espoir ?  

 

Comme des regrets,

Les écueils disparaissent,

Pour l’esprit serein.

 

 

 

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