Free counter and web stats 1-1: La langue, l’écriture et leurs conséquences

 

La langue japonaise, même si elle évoque des langues telles que le mongol, le turc, le coréen, le malais ou quelques langues polynésiennes, ne peut être de manière évidente reliée à ces langues. L’hypothèse couramment retenue est qu’il s’agit d’une langue isolée.

 

Le groupe verbal en japonais est le plus complexe de la phrase. Il n’indique pas la personne, mais différents suffixes sont ajoutés au radical et désignent la négation, le caractère achevé de l’action, la plus ou moins grande politesse, l’interrogation, etc. En revanche, les noms sont invariables (le genre et le nombre ne sont généralement pas marqués) et n’ont pas d’article (ou de déterminant). Quant aux verbes, ils se placent toujours en fin de phrase; celle-ci, pour un francophone, pourrait sembler bien imprécise, car elle se construit presque à l'inverse de la phrase française. Par exemple, pour dire «je voudrais te montrer le livre que mon père a acheté», un Japonais dirait [5.1.2.5]

 

chichi ga kattahon wo anata ni misetai to omoimasu

Mon père, acheté, livre, toi, montrer, voudrais

 

Cette complexité de la langue ne concerne pas seulement les occidentaux qui veulent apprendre le japonais, c’est aussi une difficulté pour ceux dont c’est la langue maternelle. Il faut écouter attentivement, et surtout attendre la fin de chaque phrase pour en comprendre le sens. Cela nécessite une grande attention aux détails, et l’erreur est possible. Une des premières choses que l’on apprend quand on suit des cours de préparation à la négociation avec des Japonais est de bien faire la différence entre les « oui » possibles. D’abord un Japonais ne pourra jamais dire un « oui » qui signifierait qu’il est vraiment d’accord avec vous, ou alors ce serait vraiment un engagement pratiquement sans appel possible (et même si c’est vous qui changez d’avis). Par contre, les discussions sont émaillées de « oui ». Mais c’est un « oui » qui signifie « je vous ai compris », ou plutôt « j’ai compris le sens de ce que vous venez de dire », c’est un signe oral nécessaire afin de montrer que celui qui écoute a réellement compris ce que son interlocuteur a dit.

 

On ne connaît pas d’exemple d’écriture de la langue japonaise avant le quatrième siècle, époque à laquelle semblent avoir été importés les idéogrammes chinois pour transcrire le langage parlé. Ils sont désignés par le vocable kanji, qui signifie littéralement « signes chinois ». Ces kanji ont été utilisés initialement pour leur valeur sémantique, mais assez vite aussi pour leur valeur phonétique, dans un usage qui annonce la notation syllabique qui suivra. Leur prononciation au Japon peut d’ailleurs varier en fonction de la province d’origine de leur importation. On retrouve le même phénomène en Chine même, où, si toutes les langues chinoises peuvent s’écrire avec les mêmes signes, il n’en reste pas moins que les personnes parlant des langues régionales différentes ne se comprennent pas. Comme en Chine, leur nombre est très important, et on peut en dénombrer plus de 40 000. Ces idéogrammes étaient utilisés par les lettrés, les personnes ayant reçu une haute éducation. La plus grande partie de la population en était exclue, en particulier les femmes qui ne pouvaient pas pratiquer cette écriture. De ces 40 000 kanji, 3000 peuvent être considérés comme étant usuels. A la fin de l’école primaire on considère que les écoliers doivent connaître 1000 kanji, ce nombre passe à 2000 pour la fin du secondaire ; c’est le nombre de signes qu’il faut connaître pour savoir lire le journal.

 

C’est aussi à cette époque que commencent à apparaître des signes chinois simplifiés, les kana, littéralement « nom ou caractère provisoire », qui sont utilisés comme signes phonétiques.

 

Vers la fin du neuvième siècle, les relations diplomatiques avec la Chine furent interrompues, et une nouvelle forme d’écriture basée sur la représentation de sons fut développée. Ceci a été fait en particulier à l’initiative des femmes de la cour qui ne pouvaient pas lire les kanji. Cette écriture syllabique, kana, était elle-même composée de deux différents systèmes, l’hiragana, graphie cursive qui opérait une stylisation des caractères chinois, et le katakana plus calligraphique, et qui ne retenait des caractères chinois que quelques barres ou quelques points. L’hiragana est surtout utilisé pour représenter les désinences des mots à flexions, les mots outils, certains verbes et adjectifs. Le katakana est lui utilisé pour représenter des mots étrangers ou certaines onomatopées [5.1.2.6].

 

L’hiragana et le katakana comportent chacun 46 signes, ceux de l’hiragana étant plus simples que les kanji, mais aussi arrondis et élégants. Ils ont donné lieu au développement d’une calligraphie. L’hiragana a été officialisé dans le Kokin Waka-Shû (ou «Recueil de poèmes anciens et modernes») compilé en 905 par le poète et calligraphe Ki no Tsurayuki. Par contre les signes du katakana sont beaucoup plus anguleux.

Quelques exemples [5.1.2.7]:

kanji

hiragana

katakana

romaji

Traduction française

わたし

ワタシ

watashi

Je, moi

金魚

きんぎょ

キンギョ

kingyo

Poisson rouge

煙草

たばこ

タバコ

tabako

tabac, cigarette

 

Pour écrire le japonais il faut donc utiliser pratiquement les trois types d’écriture : le kanji pour exprimer les mots, les verbes, ce qui définit ce dont on parle ; l’hiragana pour les terminaisons, les liaisons, et enfin le katakana pour les mots d’origine étrangère.

Il faut aussi mentionner l’utilisation du romaji, en fait l’alphabet latin, pour représenter certains mots étrangers modernes.

 

Voila un extrait de la une du journal Asahi Shimbun du 19 avril 2004 utilisant simultanément les quatre formes d'écriture (kanji en rouge, hiragana en bleu, katakana en vert, romaji et chiffres arabes en noir) :

ラドクリフ、マラソン五輪代表、1出場にも

Radokurifu, marason gorin, daihyō ni ichi-man mētoru shutsujō ni mo fukumi

« Radcliffe, participant au marathon olympique, concourra aussi pour le six mille mètres »

L’extrême complexité de l’écriture japonaise est encore aggravée par différents facteurs. En premier lieu les idéogrammes chinois venaient de provinces chinoises où coexistaient différents dialectes, leur prononciation en chinois pouvait donc varier. Repris en japonais, et utilisés pour leur valeur phonétique, un même caractère pouvait donc se prononcer de plusieurs manières différentes, et représenter donc des mots différents. Une autre caractéristique qui rend le déchiffrage difficile provient du fait que le même caractère chinois était utilisé pour désigner le mot chinois d’origine, mais aussi tous les autres mots de sens équivalent mais de morphologie différente. Enfin, le même caractère chinois pouvait avoir plusieurs équivalents japonais. On comprend que ce système d’écriture conduit le lecteur à un difficile travail de déchiffrement et d’interprétation ; elle a été longtemps un frein considérable au développement technique et intellectuel du pays. [5.2.2.1]

Au plus fort de la vague d’influence chinoise, les Japonais avaient pris l’habitude d’écrire leurs poèmes en utilisant les kanji non simplifiés comme symboles phonétiques. Une anthologie rédigée en 760 a regroupé 4526 de ces poèmes : le Manyoshu ou Recueil des dix mille feuilles.

La simplification de la graphie permit un essor nouveau de la poésie et de la littérature. Les courtisans et les dames de la cour se piquèrent de versifier, ou d’orner de poèmes leurs lettres d’amour. En 905, l’empereur demanda qu’une anthologie des meilleurs poèmes soit constituée, il s’agit du Kokinshu, ou Recueil des poèmes anciens et modernes. Une vingtaine de ces anthologies ont été établies dans les siècles suivants. Ces poèmes – les tanka – ne contenaient que 31 syllabes disposées selon un rythme imposé ; de leur brièveté, ils ne pouvaient avoir d’autres ambitions que d’évoquer un paysage, ou au détour d’une phrase, restituer l’évanescence d’une impression ou la fugacité d’un état d’âme {voir en particulier le chapitre 2.1}.

Le nouveau graphisme permit le développement de genres littéraires variés, des récits de voyages aux romans, en passant par les essais. Il faut noter qu’au dixième siècle, seules les femmes écrivaient en utilisant l’hiragana, les hommes lettrés ont continué à utiliser le kanji et sont restés intellectuellement proches de la culture chinoise. Contrairement à eux, les femmes, qui n’avaient pas accès aux textes classiques, ont pu développer une littérature proprement japonaise. Un des plus grands classiques de la culture japonaise, le « Dit du Genji », a été écrit au dixième siècle par une dame de la cour, Murasaki-shikibu. Une situation paradoxale s’était imposée, les lettrés continuaient à écrire maladroitement le chinois, et s’enferraient dans le passé, les femmes développaient une littérature de qualité, et nationale. [5.2.2.1]

Cette particularité s’est ensuite assez rapidement estompée.

Les caractéristiques de la langue japonaise, et son écriture, ont eu un rôle important sur la structuration du mode de pensée. Pour savoir lire il faut avoir un grand sens de la forme, et en même temps avoir une approche associative et inductive. Cela nécessite aussi d’avoir un grand sens du détail, car le détail peut changer le sens de la phrase.

Il est intéressant de noter aussi que la langue parlée dépend de la personne et du contexte dans lequel elle est parlée. Les Japonais arrivent à se comprendre non seulement grâce à ce qui est formellement dit, mais aussi grâce au contexte, à l’intonation et au langage corporel. Il n’est pas toujours nécessaire d’être très précis, ce que, de toute façon, la langue ne permet pas.

L’importance de la forme dans l’écriture rejaillit dans bien d’autres domaines. La forme donne en partie la substance ; le contenant influe sur le contenu, et le contexte définit l’énoncé. On expliquera en partie par ceci l’importance apportée aux emballages, à la présentation – en particulier dans l’art culinaire – et à la tenue vestimentaire, tout ce qui conduit à définir un cadre [5.2.2.8].

Cet amour des formes va jusqu’à faire du Japon un empire des signes. Il n’est pas nécessaire dans l’âme japonaise que ces signes aient un signifié, et encore moins un signifié conscient pour acquérir du sens [5.2.2.8].

 

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