4-12: peut-on oser une conclusion?
Comme Philippe Pons
l’a écrit dans deux articles parus dans « Le Monde des livres »
suite aux deux premiers colloques mondiaux de l’association internationale du haïku
,
le haïku s’émancipe et se
mondialise. Lors du deuxième colloque, en 2003, à Nara, Philippe Pons
retrouvait les élans de R.H. Blyth cité plus haut quand il décrivait la
participation réellement internationale :
Ill.
86
: Nara (photographie de
l'auteur)
|
« On trouve désormais des haïkistes partout : du Groenland à
l'Afghanistan... A Nara, ils étaient plus de cent cinquante
participants, parmi lesquels de grands poètes, venus d'Allemagne, de
Bulgarie, de Croatie, de France, d'Inde, de Macédoine, de Russie... Au
Japon même, les haïkistes se comptent par millions et désormais on en
dénombre sans doute autant à travers le monde. Porté par le souffle
de la planétarisation des modes de communication, le haïku
a
ses sites Internet en différentes langues qui naissent comme bambou après
la pluie. »
[5.2.2.7
].
|
Les discussions qui ont porté sur la façon de
pratiquer le haïku
dans des langues étrangères,
avaient aussi des échos au sein mêmes des haïjin
japonais qui veulent rénover le
genre et se débarrasser des contraintes héritées du dix-septième siècle,
voire du premier millénaire. Ces contraintes, telles qu’évoquées dans le
paragraphe {2.3
}, concernent essentiellement le nombre de syllabes (17), leur « découpage »
en trois parties (5 – 7 – 5), l’utilisation d’un mot de saison,
l’utilisation de la césure (kireji
) et l’utilisation de l’exclamation. Mais c’est aussi la pratique,
l’exemple des maîtres, de Bashô
à Shiki
qui a su donner une âme à ce genre
poétique, de telle façon que l’on peut presque sentir à la lecture si on
est dans le monde du haïku, du senryu
, ou plus simplement du poème court.
On a vu que de la France aux Etats-Unis, les grands qui ont pratiqué les haïku
, de Paul-louis Couchoud
à Jack Kerouac
, se sont affranchis de ses règles, pour se concentrer sur ce qui est réellement
la valeur intrinsèque du haïku,
faire ressentir une émotion universelle par la contemplation d’un instant de
réalité. On a vu aussi que ces règles, pour ce qui concerne principalement la
métrique et le découpage en trois « souffles », ne peuvent être
transposées dans une autre langue que le japonais. Une langue d’ailleurs dont
le peu de précision permet au lecteur des interprétations riches et diverses,
pouvant aller bien au-delà de la volonté de l’auteur.
Alors que garder ? L’ensemble des règles japonaises, sans les
comprendre, sans les maîtriser réellement, sans pouvoir jouir des références
culturelles sous-jacentes, quitte à faire de l’écriture des haïku
un exercice intellectuel littéraire
comme le sudoku
est un exercice arithmétique ?
Ou bien alors essayer d’en garder seulement l’esprit, l’élégance, et une
nécessaire concision ?
Poser la question en ces termes oriente bien sûr vers la deuxième
proposition, comme l’ont choisie dans le passé et maintenant d’éminents et
intéressants auteurs.
Si en plus l’émancipation permet, en évitant la banalité qui pourrait
résulter de la soumission à la contrainte avant tout, de libérer la veine créatrice
du plus grand nombre, de permettre de voir à travers la vie de tous les jours
la poésie des situations et des paysages, alors oui, que le carcan soit jeté
au feu. Que cette poésie de tous les jours puisse permettre de voir autre chose
que le trivial, même si la force du haïku
, comme l’ont montré Vocances, Sabiron, Betz, permet aussi de dénoncer
l’horreur.
Est-ce que dans ce cas le résultat peut encore s’appeler haïku
, ou doit-il s’appeler « poème court » ? Cela devient alors
à mon sens une question pratiquement sans intérêt.
Sans intérêt ? Sauf que cette étude qui se
termine a eu pour origine une discussion sur l’appartenance d’une série de
courts « poèmes » ou réflexions au genre des haïku
, et qu’elle a sans doute permis, du moins à son auteur, de mieux comprendre
et d’appréhender ce que ce genre poétique avait de profond vis-à-vis de la
mentalité, voire de la culture japonaise, et d’en saisir peut-être aussi
l’universalité, même si la forme en elle-même se doit, ou peut,
s’adapter.
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