Tremblements de terre et volonté divine

 

 

Introduction

Les séismes

Les séismes historiques: descriptions contemporaines

Conclusion

 

 
 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

Sénèque au premier siècle de notre ère décrit l’effroi de l’homme devant les conséquences des tremblements de terre, phénomène devant lequel il se sent totalement dépourvu de moyens et plus que jamais soumis à sa propre faiblesse devant les éléments :

« Quel asile peut sembler assez sûr quand le monde éprouve des secousses; quand ses parties les plus solides s'écroulent ; quand la base inébranlable et fixe qui sert d'appui à tout l'édifice, s'agite comme les flots; quand le sol perd cette immobilité qui semble son privilège? Quel sera alors le terme de nos frayeurs? Quelle retraite, quel refuge trouvera la race humaine épouvantée, si du centre même de sa demeure part l'objet de ses craintes, si le danger est sous nos pieds? La consternation est générale, quand le craquement du toit annonce la chute d'une maison : chacun fuit d'un pas rapide, déserte ses pénates et cherche un asile dans les lieux découverts. Mais où fuir, où espérer un abri, si le globe lui-même menace ruine ; si le sol qui nous protége et nous soutient, si la terre qui porte nos villes, si ce globe, dont quelques-uns font la base de l'univers, s'entrouvre et chancelle? Quel secours, quelle consolation espérer, quand la peur n'a plus même où fuir? Quel rempart assez solide nous préserverait du danger et en serait lui-même à l'abri? A la guerre, un mur me protège; des forteresses hautes et escarpées arrêtent, par la difficulté de l'accès, les armées les plus nombreuses. Les ports servent d'asile contre la tempête; à l'abri d'un toit, nous bravons les nuages qui se fondent en pluie et les torrents que ne cesse de verser le ciel. L'incendie ne suit pas l'homme dans sa fuite; enfin, contre les foudres et les menaces du ciel on se met à l'abri dans des souterrains et des cavernes profondes; car les feux célestes ne traversent point la terre et sont émoussés par le moindre obstacle de sa surface. En cas de peste, on peut changer de demeure. Point de fléau qu'on ne puisse éviter. Jamais la foudre n'a frappé des nations entières : un ciel empesté a pu changer les villes en déserts, mais ne les a point détruites. Le fléau dont nous parlons a des effets plus vastes, plus inévitables, plus funestes à tous; il est plus insatiable. C'est peu pour lui d'attaquer maisons, familles, villes, il détruit des nations, des régions entières : tantôt il les couvre de débris, tantôt il les ensevelit dans des gouffres profonds, sans même laisser de traces qui décèlent l'ancienne existence de ce qui n'est plus. Sur les cités les plus fameuses s'étend un nouveau sol, sans nul vestige de ce qu'elles furent. Bien des gens craignent, plus que tout autre, ce genre de mort qui engloutit l'homme avec sa demeure, et l'efface vivant encore du nombre des vivants; comme si toute mort n'aboutissait pas au même terme ! ». Il poursuit en affirmant solennellement qu’il ne faut pas néanmoins rechercher dans l’intervention du divin les causes de ces catastrophes, mais dans les phénomènes de la nature : « Il est bon aussi de se convaincre que les dieux ne sont point les auteurs de ces révolutions; que ce n'est point leur courroux qui ébranle la terre ou le ciel. Ce sont des effets de causes nécessaires, et non des vengeances ordonnées par eux. Ce sont les résultats de quelque vice de ces grands corps, malades comme les nôtres, et en souffrance alors qu'ils semblent chercher à faire souffrir. »(1)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors que Sénèque encourageait à rechercher les causes naturelles des tremblements de terre, saint Jean dans son Apocalypse liait ceux-ci à la venue du dernier jugement. Cette opposition entre les philosophes et les hommes d’église allait perdurer pendant encore plus de vingt siècles.  Comme les penseurs de l’Antiquité l’avaient exprimé, l’exploitation de la peur, de l’inconnu était un outil puissant au service de la propagande religieuse contre laquelle avec tout son talent Lucrèce se dressa.
La peur de l’inconnu, la désignation du coupable, l’organisation de grandes communions populaires, l’amalgame entre difficultés économiques, climatiques et catastrophes naturelles, l’exploitation des éclipses, des comètes, tout cela fut utilisé pendant les guerres de religion du XVIe siècle. On peut citer Artus Désiré qui écrivait en 1587(2) :

 

 

 

[…]
O bon Chrestien en ton esprit rumine
Ces signes grands que tu vois devant toy,
Ne vois tu pas en France la famine
Quoy qu’abondance y soit, dont en esmoy
Je suis, aussi que pour or ny aloy,
Ne pour parens, ou grands amis acquis
Les vivres y sont si treschers & requis,
Qu’à bien grand peine trouver blé en nul lieu,
Nous denotant par cé grand signe exquis
Qu’en bref aurons le jugement de Dieu.
La terre aussi n’a elle pas tremble
En aucuns lieux impetueusement,
Et le soleil de tenebres comblé
Perdu clarté, en son haut element ?
[…]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Non que cela fut inventé alors, ce fut sans doute et de tout temps un des meilleurs outils des religions ou sectes pour, en donnant du sens à ce que les hommes ne pouvaient comprendre, en exploitant leurs peurs et leur besoin de se rassurer – un peu comme l’invention du purgatoire au début du deuxième millénaire – les contrôler et les asservir, et les faire se lever au besoin pour faire la guerre à ceux qui menaçaient le pouvoir religieux en place.

 

 

 

Plusieurs grands séismes frappèrent la France dans la deuxième partie du seizième siècle, rythmant la progression des guerres de religion. De 1564 à 1588, de Nice à Angers, ce fut au moins quatre grands épisodes qui furent suffisamment violents pour devenir des événements notables, et qui, accompagnant les combats, les famines, la cherté de la vie et les épidémies pouvaient être utilisés comme autant d’avertissements de Dieu pour que les hommes reviennent dans la communauté de l’église catholique, apostolique et romaine. Si les textes qui nous sont parvenus sont au début descriptifs, au fur et à mesure que l’on s’approche de la fin du siècle, le ton se fait de plus en plus partisan jusqu’à accuser les tenants d’une explication naturelle d’hérétiques. C’est cette évolution que ce chapitre entend illustrer après avoir fait un rapide panorama des théories sismologiques.

 

 

 

 

Panneau des éclipses de soleil et de lune de l'horloge de Strasbourg (1547 - 1574)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les séismes

 

 

Les théories sismologiques

 


De tout temps les séismes de part leur imprévisibilité et leur caractère souvent destructeur on été considérés comme des manifestations divines que l’on devait rattacher à une volonté de punir ou d’avertir. Pour les chinois ils étaient un signe que le Ciel désavouait la légitimité de l’empereur. L’importance politique du phénomène les poussa à les noter de manière précise et ce dès -780. Zhang Heng, en 132, inventa le premier sismographe. Il était constitué d’une urne en fonte dans laquelle était suspendu un pendule. Lors d’un séisme, l’oscillation imposée au pendule se produisait dans le plan de l’onde de choc, et pouvait donc indiquer la direction où se trouvait l’épicentre. Le mécanisme était tel que le mouvement qui lui était imposé provoquait alors la chute d’une bille depuis un des huit dragons qui étaient placés sur la périphérie de l’instrument. Pour éviter qu’il y ait confusion, un  mécanisme empêchait qu’une fois une bille libérée, les autres ne puissent l’être. Parmi tous les tremblements de terre recensés en Chine, celui qui a eu les conséquences les plus désastreuses semble être celui de 1556 dans la province actuelle du Shaanxi ; il aurait causé la mort de plus de 830 000 personnes. Connu sous le nom du Grand tremblement de terre de Jiaping (嘉靖大地震), il est considéré comme une des plus grandes catastrophes naturelles documentées(3).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce ne fut pas le cas des Grecs(4), et en particulier d’Aristote qui dans ses « Météorologie »(5) développe une théorie des tremblements de terre tout en s’opposant à celles qu’Anaximène de Milet, Anaxagore de Clazomènes, et après eux Démocrite d'Abdère avaient proposées.

 

 

Anaximène, qui vécut de – 585 à - 525, considérait comme Démocrite le fera plus tard que la Terre, étant initialement gorgée d’eau, se brisait quand des parties d’elle-même se desséchaient, et que la chute des fragments, quand elle s’imbibait à nouveau, la faisaient trembler. Anaxagore, qui vécut de -500 à -428, pensait lui que bien que la terre soit sphérique, elle avait un haut et un bas, la partie haute étant la partie habitée par les hommes. L’éther (le vent ?) par sa nature se portant vers le haut, quand il tombe dans les profondeurs de la terre, à tendance à vouloir remonter et frappe ainsi la terre du bas vers le haut ce qui donne lieu aux tremblements de terre. Démocrite qui vécut de – 460 à -370, soutenait lui que la terre était gorgée d’eau, et que tout surplus, venant par exemple des pluies, devait conduire à un phénomène d’expulsion qui causait les séismes. La terre asséchée attirait à son tour les eaux, et le déplacement de ces masses créait à leur tour des tremblements de terre.

 

 

 

 

 

 

 

Pour Aristote (- 384 / - 322), les tremblements de terre sont dus aux vents. Ceux-ci proviennent de l’échauffement par le soleil et par le « feu intérieur » de la terre de l’humidité que celle-ci contient. Les vents et souffles qui s’en échappent alors se déversent soit à la surface de la terre soit vers le dedans, c’est alors qu’ils provoquent les séismes. Pour renforcer sa théorie il en déduit des propriétés qui pour lui sont démontrées par l’observation : les tremblements de terre se produisent quand il n’y a pas de vent sur la terre, les plus violents se produisent la nuit car les nuits sont d’ordinaire calmes, ou alors en milieu de journée quand la force du soleil contient le plus le vent, le vent se comportant comme les marées, ils se produisent rarement en hiver et en été, l’un étant trop froid l’autre trop sec, les régions proches de la mer sont plus sensibles car l’eau refoule les vents qui viennent de la terre, ils se produisent d’autant plus que le sous-sol contient des cavernes et est spongieux, ….

 

 

 

 

 

 

 

Au premier siècle avant J.C., Lucrèce (- 98 / - 55) reprend dans son « De rerum natura », une partie de la théorie d’Aristote. Pour lui, la terre est dans son sein, comme à la surface, constituée de cavernes, de fleuves, de mers et de montagnes. Quand les fleuves souterrains roulent des rochers, quand des montagnes s’écroulent, la terre à la surface tremble comme tremblent les maisons quand passent dans la rue de lourds chariots. Les vents qui se déchainent dans les profondeurs peuvent se porter en un point donné, et exercent alors une forte pression sur les parois qui fait pencher la terre du côté où la pousse l’ouragan, ce qui fait vaciller les maisons situées à la surface. Comme Aristote, il considère que le vent peut pénétrer parfois sous la surface de la terre et tourbillonner alors dans les cavernes, créant tremblements et déchirements. Lucrèce fut aussi un des promoteurs de la démarche matérialiste qui cherche dans des causes naturelles les explications des phénomènes physiques. Pour lui la religion est dangereuse et a asservi l’homme : « Alors qu’aux yeux de tous, l’humanité traînait sur terre une vie abjecte, écrasée sous le poids d’une religion dont le visage, se montrant du haut des régions célestes, menaçait les mortels de son aspect horrible, le premier un Grec, un homme osa lever ses yeux mortels contre elle, et contre elle se dresser (…) Et par là, la religion est à son tour renversée et foulée aux pieds, et nous, la victoire nous élève jusqu’aux cieux » ; il faut rechercher les causes et non pas se contenter du divin : « Ce qui rend les hommes esclaves de la peur, c'est que, témoins de mille faits accomplis dans le ciel et sur la terre, mais incapables d'en apercevoir les causes, ils les imputent à une puissance divine. ».(6)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sénèque ( 4 av. J.C – 65 ap. J.C.) consacre le livre 6 de ses « Questions naturelles »(7) aux tremblements de terre. Il commence par décrire celui qui frappa Pompéi, Herculanum et Naples en 62, soit près de 17 ans avant la destruction complète de la ville. On retrouvera d’ailleurs dans la maison de Lucius Cæcilius Jucundus des bas-reliefs qui représentaient sans doute les dommages subis par des monuments de la ville lors de ce séisme, en particulier le temple de Jupiter ébranlé et l’écroulement de la porte du Vésuve.

 

 

 

Pompéï, le séisme de 62: maison de Lucius Caecilius Jucundus

 

Il cherche ensuite à identifier dans les causes naturelles celles qui sont le plus à même d’expliquer les observations, et, en cohérence avec la philosophie antique recherche dans les quatre éléments primordiaux, l’eau, le feu, l’air et la terre. Il élimine d’abord l’eau, thèse soutenue par Thalès de Milet en particulier qui pensait que le globe terrestre reposait sur une masse d’eau.  Il élimine ensuite la terre, et en particulier la thèse d’Anaximène décrite ci-dessus. Pour ce qui concerne le feu, il cite Anaxagore de manière un peu différente que ce que fait Aristote, en expliquant que pour lui la collision des nuées d’air qui entrent dans la Terre avec l’air épais et condensé en nuages qui y règne entraîne un feu soudain qui cherche par tous les moyens à s’échapper des profondeurs. Il cite d’autres auteurs qui attribue au feu intérieur la vaporisation des masses d’eau internes, vapeur qui exerce ensuite une forte pression sur ce qui l’entoure, provoquant secousses ou déchirements. Enfin pour l’air il reprend pour partie les théories d’Aristote, tout en expliquant les raisons pour lesquelles de l’air est effectivement contenu dans la Terre et peux y pénétrer. Il essaye ensuite de confronter ses assertions à diverses observations suivant une méthode que l’on pourrait qualifier de scientifique. Enfin il explique la mort d’un troupeau de 600 moutons lors du séisme de Pompéi de 62 par le relâchement par la Terre d’exhalaisons morbides dont ceux-ci, respirant à hauteur du sol, auraient été les victimes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il semble qu’aucun de ces auteurs n’aient fait un rapprochement direct entre l’activité volcanique et les séismes, ou recherché des causes communes. Strabon(8), dans sa « Géographie » reconnaît néanmoins le caractère « variables » des terres émergées : « On peut donc, en somme, se montrer moins empressé qu'Eratosthène d'adopter l'explication de Straton ; et peut-être vaudrait-il mieux rattacher le phénomène en question à un ordre de faits plus sensibles, du genre de ceux, si l'on peut dire, auxquels nous assistons tous les jours. Les inondations, par exemple, les tremblements de terre, les éruptions, les soulèvements du sol sous-marin, d'une part, et d'autre part les affaissements ou éboulements subits sont autant de causes qui peuvent avoir également pour effet les unes d'exhausser, les autres d'abaisser le niveau de la mer. Et comme on ne s'expliquerait point que ces sortes de soulèvements fussent possibles pour des masses ou matières volcaniques et pour de petites îles, sans l'être aussi pour des îles de grande étendue, possibles pour les îles en général, sans l'être aussi pour les continents, de même on devra admettre la possibilité des grands comme des petits affaissements ; d'autant mieux que la tradition parle de cantons entiers et de villes, comme voilà Bura, Bizoné et plusieurs autres, qui auraient été abîmées et complètement englouties à la suite de tremblements de terre. Ajoutons qu'on n'est pas plus autorisé à voir dans la Sicile un fragment détaché de l'Italie qu'une masse soulevée par les feux de l'Etna, et qu'il en est de même pour les îles des Lipariens et les Pithécusses(9)»(10) Bruno Helly(11) mentionne néanmoins que quelques auteurs auraient tenté ce rapprochement, tels Antiphon le Sphiste (Ve siècle av. J.C.) et peut-être Empédocle d’Agrigente (début du Ve siècle avant J.C.).

 

 

 

 

 

 

 

 

Au premier siècle après J.C., Pline l’ancien(12), qui devait mourir lors de l’éruption du Vésuve qui entraina la destruction de Pompéi en 79, attribue lui aussi la cause des tremblements de terre au vent qui se rue dans les cavernes de la terre et fend la roche pour se libérer. Il décrit les différents phénomènes de vibrations et d’oscillations, ainsi que la création de failles qui peuvent d’ailleurs se refermer cachant à tout jamais ce qu’elles ont englouti. Il considère que les villes dans lesquelles beaucoup de puits ou de souterrains ont été construits sont moins sujettes aux tremblements de terre, ceux-là servant comme autant d’exutoires aux ouragans souterrains. Il observe aussi que les structures « légères » résistent mieux aux séismes, telles les voutes ou les constructions en briques.

 

 

 

 

 

 

 

Ammien Marcellin(13) dans  son « Histoire de Rome »(14)Raconte la destruction de Nicomédie(15) le 24 août 358 : « Les uns pressés par la violence des ruines qui tombaient sur eux, périrent sous leur propre poids ; d’autres, enfouis jusqu’aux épaules, auraient être sauvés si l’on était venu à leur aide : ils ont péri faute de secours ; d’autres pendaient, retenus par des poutres qui sortaient des murailles. De ce qui naguère était des hommes on voyait, par suite d’un seul désastre, des monceaux de cadavres mélangés. Certains, prisonniers sains et saufs sous les ruines de leurs maisons, devaient mourir de peur et de faim … La tête broyée, privés d’un bras ou d’une jambe, des mutilés, entre la vie et la mort, imploraient le secours de ceux qui souffraient des mêmes maux ; ils étaient abandonnés malgré leurs supplications. Des édifices publics et privés, et même des hommes, un certain nombre encore auraient pu être sauvés, si, dans un incendie, l’ardeur brusque des flammes courant en désordre pendant cinquante jours, n’avait détruit tout ce qu’elle pouvait consumer . » Il indique aussi qu’il faut se garder d’invoquer Dieu, car on ne sait pas de façon sure celui qui pourrait en être la cause : « Aussi, pour éviter une méprise qui serait un sacrilège, les rituels et les livres des pontifes prescrivent-ils prudemment (et c'est une réserve strictement observée par les prêtres) de s'abstenir en ces occasions d'invoquer un dieu plutôt qu'un autre, puisqu'on ignore encore quelle divinité préside en effet à ce grand désordre de la nature. ».

 

 

 

 

 

 

 

Pierre Gassendi

Les encyclopédistes(16) du Moyen Âge ont le plus souvent repris la théorie d’Aristote, tels Bède le Vénérable (673 – 735) et Isidore de Séville (Vers 560/570 – 636). Au début du dix-septième siècle, Pierre Gassendi (1592 – 1655) remet en cause cette explication et avance qu’il faut rechercher la cause des tremblements de terre dans l’inflammation soudaine de gaz souterrains(17) qui agissent telles des mines. Les mêmes raisons sont reprises par Kant en 1755 dans une monographie consacrée au grand séisme de Lisbonne de 1755. Ce dernier, qui détruisit Lisbonne, eut lieu le 1er novembre 1755 à 9h40 du matin. On estime que sa magnitude atteignit 8,5 à 9 sur l’échelle de Richter. Il fut suivi d’un tsunami et d’incendies qui ravagèrent la ville. Cinquant à soixante mille personnes y trouvèrent la mort.

 

 

 

 

 

 

 

 

Lisbonne, 1755

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au dix-huitième siècle, une nouvelle théorie(18) émergea qui attribuait aux phénomènes électriques la cause des tremblements de terre. La première mention de cette théorie apparaît dans un article de William Stukeley (1687 – 1765) écrit à la suite du séisme qui frappa Londres en 1750 ; il y cite une conférence de Benjamin Franklin pour lier les secousses sismiques à une décharge électrique similaire à la foudre. Par un effet d’analogie, ceux qui s’opposaient aux paratonnerres en prétextant qu’ils attiraient la foudre attribuèrent à ceux-ci la responsabilité de favoriser les séisme, tel le révérend Thomas Prince (1687 – 1758) à Boston qui conclue par « Oh ! On ne peut échapper à la puissante main de Dieu ». Bien que critiquée par John Winthrop (1714 – 1779), professeur à l’université d’Harvard qui expliquait que la terre étant un conducteur il ne pouvait pas y avoir de concentration locale de charges électrique, cette théorie se répandit dans le monde scientifique. John Winthrop fit un premier pas vers une compréhension plus exacte du phénomène en mesurant le décalage de temps entre les différents événements observés lors d’un séisme à Boston ; il conclut à l’existence du « passage d’une petite vague de terre », première allusion à la propagation d’une onde. En 1760, John Mitchell calcula la vitesse de propagations des séismes, il obtint la valeur de 1900 km/h(19) ; en observant la direction des chocs pour en déduire l’épicentre, il conclut que « les tremblements de terre sont provoqués par des blocs de roches qui se déplacent à des kilomètres sous la surface ». Buffon, qui attribuait les séismes aux inflammations et explosions souterraines dans sa « Théorie de la Terre » en 1749, se convertit à la théorie électrique dans son ouvrage « Les Epoques de la Nature » paru en 1778. Il fut en particulier vivement critiqué par Marat (1743 – 1793) qui évoqua la possibilité que les secousses soient liées à l’arrivée d’ondes sonores.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle et au début du XXe que le lien fut fait entre la géologie et les lieux où se produisaient les séismes. On peut reprendre le résumé qu’en fit Montessus de Balllore publié à Modène en 1916(20) :

 

 

« On peut enfin se demander quels sont les sismologues dont les travaux ont marqué les principales étapes du progrès de la science des tremblements de terre. Nous pensons que tout le monde sera d'accord pour accepter la liste suivante, limitée aux morts et rangée par ordre chronologique : Perrey, Robert Mallet, Cecchi, Bertelli et de Rossi, Milne, Rudolph et le Prince Galitzine. Nous y ajouterons le géologue Edouard Suess. Leur rôle est facile à caractériser en peu de mots.
Comme on sait la première impulsion est venue des catalogues de Perrey qui, on peut le dire, ont permis de songer à l'établissement d'une géographie sismologique ; Mallet a eu le mérite de reconnaître dans les tremblements de terre un phénomène de mouvement que rien d'essentiel ne distingue des autres mouvements périodiques étudiés en physique ; il est donc le père de la sismologie mathématique et mécanique ; en outre, sa fameuse monographie du célèbre tremblement de la Basilicate (16 XII 1857) a été et sera encore longtemps le modèle des travaux de ce genre ; Suess a démontré que notre phénomène naturel appartient surtout à la géologie par ses causes profondes ; de Rossi et Bertelli ont découvert les microséismes et avec Cecchi ils ont créé la sismographie ; Milne a su éclaircir un très grand nombre de questions de détail et posé les principes généraux de l'architecture antisismique ; Rudolph a montré que le sol des océans n'est pas moins instable que celui des continents ; le Prince Galitzine enfin a donné un merveilleux essor à l'étude mathématique des sismogrammes […]. »

 

 

 

 

 

 

 

 

San Francisco, 1906

Enfin en 1906, H. Reid, suite au tremblement de terre de San Francisco, associa le séisme au mouvement tectonique de la faille de San Andreas. Il proposa la théorie du rebond élastique : au début d’un cycle sismique les contraintes augmentent dans les roches de part et d’autre d’une zone fragile jusqu’à une valeur critique ; le relâchement de la contrainte de manière brutale provoque un déplacement au niveau de la faille qui génére l’onde de choc.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les séismes en France

 

Le territoire français présente une image contrastée en termes de risque sismique. Les deux cartes(21) qui suivent présentent pour l’une les épicentres des séismes observés depuis mille ans, et pour l’autre l’intensité des mêmes séismes. On peut isoler quatre grandes zones où les tremblements de terre sont plus susceptibles de se produire.

 

 

 

Les intensités des séismes en France depuis 1000 ans

Les épicentres des séismes en France depuis 1000 ans

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La première suit l’arc alpin et se développe jusque dans les Vosges, avec des zones où les intensités sont plus importantes au sud de l’Alsace et dans les Alpes-Maritimes. La deuxième zone est située sur la chaine des Pyrénées. Une troisième zone qui a la forme d’un arc se développant de Clermont-Ferrand à Nantes, et qui, s’il ne présente pas un nombre important de séismes observés, a donné lieu à des séisme de forte intensité. Enfin une quatrième zone au nord près de Calais, où des séismes de fortes intensités se sont produits mais pour lesquels les épicentres étaient plutôt localisés sous la Manche.

Le bassin parisien quant à lui est un lieu pratiquement exempt de séismes.

 

 

 

 

 

Les explications modernes

 

 

Un tremblement de terre est une secousse plus ou moins violente du sol qui peut avoir quatre origines : rupture d'une faille ou d'un segment de faille (séismes tectoniques) ; intrusion et dégazage d'un magma (séismes volcaniques) ; « craquements » des calottes glaciaires se répercutant dans la croûte terrestre ; explosion, effondrement d'une cavité (séismes d'origine naturelle ou dus à l'activité humaine). En pratique on classe les séismes en trois catégories selon les phénomènes qui les ont engendrés :

 

 

 

 

Les séismes tectoniques sont de loin les plus fréquents et dévastateurs. Une grande partie des séismes tectoniques a lieu aux limites des plaques, où se produit un glissement entre deux milieux rocheux. Ce glissement, localisé sur une ou plusieurs failles, est bloqué durant les périodes inter-sismiques (entre les séismes), et l'énergie s'accumule par la déformation élastique des roches. Cette énergie et le glissement sont brusquement relâchés lors des séismes. Dans les zones de subduction, les séismes représentent en nombre la moitié de ceux qui sont destructeurs sur la Terre, et dissipent 75 % de l'énergie sismique de la planète. C'est le seul endroit où on trouve des séismes profonds (de 300 à 645 kilomètres). Au niveau des dorsales médio-océaniques, les séismes ont des foyers superficiels (0 à 10 kilomètres), et correspondent à 5 % de l'énergie sismique totale. De même, au niveau des grandes failles de décrochement, ont lieu des séismes ayant des foyers de profondeur intermédiaire (de 0 à 20 kilomètres en moyenne) qui correspondent à 15 % de l'énergie. Le relâchement de l'énergie accumulée ne se fait généralement pas en une seule secousse, et il peut se produire plusieurs réajustements avant de retrouver une configuration stable. Ainsi, on constate des répliques à la suite de la secousse principale d'un séisme, d'amplitude décroissante, et sur une durée allant de quelques minutes à plus d'un an. Ces secousses secondaires sont parfois plus dévastatrices que la secousse principale, car elles peuvent faire s'écrouler des bâtiments qui n'avaient été qu'endommagés, alors que les secours sont à l'œuvre. Il peut aussi se produire une réplique plus puissante encore que la secousse principale quelle que soit sa magnitude. Par exemple, un séisme de 9,0 peut être suivi d'une réplique de 9,3 plusieurs mois plus tard même si cet enchaînement reste extrêmement rare

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les séismes d'origine volcanique résultent de l'accumulation de magma dans la chambre magmatique d'un volcan. Les sismographes enregistrent alors une multitude de microséismes (trémor) dus à des ruptures dans les roches comprimées ou au dégazage du magma. La remontée progressive des hypocentres (liée à la remontée du magma) est un indice prouvant que le volcan est en phase de réveil et qu'une éruption est imminente.

 

 

Les séismes d’origine polaire : Les glaciers et la couche de glace présentent une certaine élasticité, mais les avancées différentiées et périodiques (rythme saisonnier marqué) de coulées de glace provoquent des cassures dont les ondes élastiques génèrent des tremblements de terre, enregistrés par des sismographes loin du pôle à travers le monde.(22)

La carte ci-dessous qui représente les épicentres des séismes observés de 1963 à 1998 illustre de façon saisissante le lien entre les plaques tectoniques et les sources des séismes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour ce qui concerne la France, la carte ci-contre pemet de rapprocher les observations précédentes et les limites des plaques tectoniques ainsi que la position des failles qui concernent le terrtoire national.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les séismes historiques: description contemporaines

 

 

Qu'est-ce qu'un séisme au XVIe siècle?

 

La tapisserie de l'apocalypse de saint Jean - Angers (XIVe)

Même si l’invention de l’imprimerie permit de diffuser la culture antique et les textes des auteurs grecs et latins, la chrétienté au XVIe siècle tenait à attribuer les séismes à la colère divine. C’était une longue tradition. Déjà en 460, sous le règne de Léon 1er, le séisme qui frappa Constantinople fut considéré comme une punition envers les sodomites, ce qui donna prétexte au souverain d’achever ensuite l’œuvre divine. Joseph l’hymnographe, qui vécut au IXe siècle, professait le même crédo : « Dieu flagelle la terre en raison de nos dispositions vicieuses qui ont suscité sa colère ». Les séismes étaient vus comme des châtiments partiels avant le séisme universel tel que prédit par Saint-Jean dans son Apocalypse : « Cela fait, l'ange reprit l'encensoir, le remplit de braises de l'autel et les lança sur terre ; il en advint coups de tonnerre, voix, éclairs et séisme.(23) » et « Le temple céleste de Dieu s'ouvrit alors, on aperçut à l'intérieur l'arche de son alliance, et il se produisit des éclairs, des voix, des coups de tonnerre, un séisme et une forte grêle.(24)»

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Andronic II

Marie-Hélène Congourdeau dans son article « Les byzantins face aux catastrophes naturelles sous les paléologues »(25), dresse un tableau des différents courants de pensée qui s’opposaient à Byzance à la fin du premier millénaire et au début du deuxième sur l’interprétation qu’il fallait avoir des tremblements de terre. On peut distinguer trois types de pensées. La première se place dans la pure tradition d’Aristote et est exposée au VIe siècle par Jean Philopon, au IXe par Photius et au XIe par Psellos. Contre celle-ci, des auteur s’insurgent en opposant des raisons purement religieuses, comme Cosmas Indicopleustès contre Philopon jusqu’à Nicétas Chnoniatès(26) qui oppose les chrétiens aux philosophes : « Nous (les chrétiens) disons que les tremblements de terre sont produits par Dieu, pour infuser la terreur chez les hommes et pour le ramener à un état d’esprit plus sain ».  La troisième voie est un compromis entre les causes naturelles et la volonté divine, cette dernière étant la cause première, la nature l’instrument. L’auteur cite Nicéphore Grégoras qui en 1344, dissertant sur un épisode de grêle, fait le lien entre les raisons naturelles et la volonté divine : « Etant donné que la grêle tire son origine de l’eau, qui est un élément mou et qui se brise facilement, mais qui produit ensuite un dommage bien plus fort que les pierres et le bois et toutes les flammes, comment ne verrait-on pas clairement à partir de ces choses un avertissement de Dieu ? ».
Mais si les séismes sont l’œuvre de Dieu, des signes annonciateurs, il faut les déchiffrer. Plusieurs types d’interprétations avaient alors cours, de l’annonce de fléaux encore plus redoutables à une expression de la colère divine comme Andronic II(27) en 1296 à Constantinople l’utilise en ordonnant une grande procession : « Il fit comprendre, écrit Pachymère, que le fait survenu était une vengeance de Dieu et il s’en prit à eux, parce qu’ils vivaient dans l’insouciance et l’indifférence aux lois et prescriptions divines, mais il résumait le tout dans l’absence de justice. » Dieu s’en sert ainsi comme un avertissement pour pousser à la conversion, mais alors c’est la conversion de « l’autre » qui était comprise, de celui qui, par sa différence, menaçait l’équilibre du pouvoir en place.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On retrouvera dans les textes relatant les principaux séismes qui se produisirent en France ces mêmes courants. La théorie de la cause naturelle, ou plutôt la théorie d’Aristote était bien connue des lettrés, mais s’opposaient toujours à ceux qui voyaient en Dieu la cause première et à ceux qui y voyaient la cause unique. Pour ces derniers les séismes étaient la preuve du courroux de Dieu, envoyés sur la Terre pour manifester sa colère contre ceux qui voulaient mettre à bas l’église catholique, Apostolique et romaine. Mais il ne suffisait pas de prêcher le repentir et d’utiliser les désastres pour convaincre le peuple et lui insuffler la peur qui devait le ramener vers les représentants de l’église, il fallait aussi accuser ceux qui recherchaient des causes naturelles de violer la loi de Dieu, d’être des dépravés voire des hérétiques.

 

 

 

 

 

 

Statistiques

 

Le site du BRGM(28) présente un recensement de tous les séismes observés en France ou pour lesquels on dispose d’une observation écrite, et ce depuis l’an 463. Si dans les années récentes des enregistrements sont systématiquement faits en utilisant des moyens modernes, pour les séismes historiques il a fallut se contenter de rechercher dans les chroniques contemporaines les récits ou descriptions faites par des témoins, soit dans les textes originaux soit cités dans des compilations ou traités d’histoire. Le nombre absolu des tremblements de terre ne peut pas ainsi permettre de comparer entre-eux les siècles pour estimer si certains ont pu présenter des activités sismiques plus importantes que d’autres. Cet écart est clairement mis en évidence sur le graphique ci-après qui présente le nombre d’observations répertoriées au XVIe siècle et à la fin du XXe siècle(29) . Il faut noter d’ailleurs que même au XXe siècle il y a eu des périodes pendant lesquelles le nombre d’observations ne peut pas être considéré comme réellement représentatif, c’est particulièrement le cas pour les deux épisodes de guerre qu’a subit ce siècle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On constate, pour la fin du XXe siècle, une grande variabilité d’une année sur l’autre avec des valeurs aussi hautes que 70 à 89, et des valeurs basses de l’ordre de 5. Cet écart est en partie expliqué par la comptabilisation des répliques qui suivent les tremblements de terre importants comme autant de séismes, ce qui conduit à gonfler de manière importante les valeurs numériques.

Le site du BRGM donne aussi une mesure de l’intensité des tremblements de terre, ou pour les séismes anciens une estimation. Cette estimation est basée sur une analyse des dégâts occasionnés par ces séismes tels que consignés dans les documents contemporains ; elle doit donc être considérée avec réserves. L’échelle utilisée est la suivante :
4 : secousse modérée, ressentie dans et hors les habitations, tremblement des objets,
5 : secousse forte, réveil des dormeurs, chutes d'objets, parfois légères fissures dans les plâtres,
6 : dommages légers, parfois fissures dans les murs, frayeur de nombreuses personnes,
7 : dommages prononcés, larges lézardes dans les murs de nombreuses habitations, chutes de cheminées,
8 : dégâts massifs, les habitations les plus vulnérables sont détruites, presque toutes subissent des dégâts importants,
9 : destructions de nombreuses constructions, quelquefois de bonne qualité, chutes de monuments et de colonnes,
10 : destruction générale des constructions, même les moins vulnérables (non parasismiques),
11 : catastrophe, toutes les constructions sont détruites (ponts, barrages, canalisations enterrées...).

On a représenté sur le graphique ci-après les intensités notées de manière annuelle au XXe siècle, et les intensités des quelques séismes du XVIe siècle pour lesquels une estimation a pu être faite sur la base des récits contemporains. On constate une relative stabilité pour ce qui concerne les séismes de forte intensité, ceux qui effectivement ont été consignés dans les chroniques. Les tremblements de terre les plus violents atteignent des intensités épicentrales de 8 à 8,5.

 

 

 

 

 

 

Enfin le graphique ci-après présente le nombre de séismes répertoriés au XVIe siècle, ainsi que les intensités épicentrales les plus notables. On peut noter en particulier le séisme de Manosque en 1509 avec une intensité de 8, le séisme Nissart de 1564 qui eut la même intensité, le séisme de Tours en 1579 avec une intensité de 7,5, celui de Calais en 1580, d’intensité 7,5 et dont l’épicentre se trouvait dans la Manche, et enfin celui d’Angers de 1588 dont l’intensité fut plus faible avec une valeur atteignant seulement 6,5. On va dans les paragraphes suivant détailler ces quatre derniers tremblements de terre. Il est intéressant aussi de noter qu’en 1578 un séisme, répertorié dans les tables du BRGM comme s’étant produit dans le Dauphiné, à La-Tour-du-Pin et dont l’intensité n’est pas connue, a été ressenti à Lyon et a donné prétexte à un petit opuscule de vulgarisation : « Tremblement de terre advenu à Lyon le mardy vingtiesme jour de May mil cinq cens septante huict, peu avant les quatre heures du soir » ([444]).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le séisme Nissart - 20 juillet 1564

 

De telles calamités et signes miraculeux doivent nourrir notre cœur et nous rappeler que ces pauvres gens, nos frères et nos sœurs, ont souffert et survécu à la misère.

 

 

 

Un peu avant l’arrivée du roi Charles IX dans le sud de la France, un fort séisme secoue la région de Nice le 20 juillet 1564; dans son «Histoire de la Provence », César de Nostredame l’évoque et rapporte que 2/3 des habitants de la ville durent se réfugier aux champs :
« Dejia le soleil avoit passé jusques au signe du Lyon, où il estoit avant entré, lors que des quartiers de Terre-neuve furent mandees au Comte de Tende certaines lettres contenant plusieurs esclandres y advenus de ce temps, dont telles estoyent les paroles.
Je cuyde que vous avez entendu la desolation qui est en ces montagnes de terre-neuve, où sont peries jusques à dix ou douze villes que bourgades, & des morts de huict à neuf cens hommes, ayant commencé telle mortalité & fleau de Dieu le vingt de Juillet passé : si qu’une ville tombe aujourd’huy, l’autre demain. Les montagnes se fendent par le milieu, les roches se brisent & despecent, avec un bruit & tonnerre espouvantable, de sorte que les pauvres gens ne peuvent estre seurs ny avoir retraitte salutaire aux champs ny aux villes. Le bestail demeure regardant au Ciel, comme implorant par quelque instinct de nature, & mortelle necessité la souveraine misericorde.
L’on entend dans les cavernes des grands cris & des hurlemens effroyables : encor mesme Mecredy passé beaucoup de maisons tomberent. Les deux tiers des habitans de Nisse couchent aux champs. Une grande partie du Chasteau de Vintimille est tombé par terre, avec la moytié du Convent. Somme que tous les quartiers des montagnes se fendent d’heure en heure, & à yeux voyans, dont est grande desolation. Escrit ce xx Juillet 1564.
En ce mesme temps passa par nostre ville de Sallon, un qui se disoit de ces quartiers là, lequel racomptant ces tristes choses & ces tant estranges prodiges, laissa un roolle en sa langue naturelle & Nissarde qui est comme un vieil Provençal des villes & chasteaux ruynez : en premier lieu Roche Begleure, & Mage où estoyent restés morts & accablés sous les ruynes, jusques au nombre de trois cens & plus, & trente blessés. Beauvers ruyné, trois cens morts & d’avantage.
La Boullene entierement & de fond en comble ruynee, deux cens cinquante morts, & quatorze blessés.
Lantousques à moitié ruynee, tous les pauvres habitans morts & accravantés, fors quatorze petits enfans.
Venasque à moitié ruynee, trente-huict de morts, & onze blessés. Outre cela le chasteau de Cahours tombé avec le Pont, qui avoit cousté plus de cinquante mille escus, & le pas dict Mont-taillat, qui faisoit le grand chemin de Piedmont, lequel a deux grands Rochers fendus & taillez à force de ferrements & de marteaux acerés, pour faire le grand chemin de Nisse, & de Piedmont. S’estans ces rochers joincts & assemblés, entre lesquels passoit une grosse & bruyante riviere, qui s’est effondree & perduë.
Davantage s’est ryuné le chasteau de la Bregue, & y sont mortes plusieurs personnes ? Si bien que deux ou trois jours apres ceste cheute & ruyne, s’est trouvé un Marchand de Nisse qui passant à Vintimille se profonda sur le ferme, & se trouva enterré & engloutti jusques au col, resté vif la teste seule franche dehors, & criant espouventablement & à gorge desployee, famine, famine : voix horrible apportant une telle frayeur à ceux qui le voyent & l’entendent, que aucun ne veut luy porter du pain à manger, combien qu’il replique continuellement & hydeusement la mesme parole. Estranges & prodigieuses choses, si l’advis en fut veritable, d’autant qu’elles participent en quelque sorte du fabuleux & du conte. ».(31)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Carte de Francesco Megiol

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les dégâts furent considérables dans l’arrière pays niçois : la Bollène fut entièrement détruite et 250 de ses habitants trouvèrent la mort ; Roquebillière fut durement touché, et compta près de 300 victimes, Saint-Jacques Valdeblore détruit, des dizaines de victimes à Belvédère, Venanson, La Roche, … Près du littoral, des mouvements de mer ont été rapportés à Antibes, Monaco et à Villefranche-sur-Mer dont le port se serait affaissé. Il y eut des répliques jusqu’en septembre. Ce séisme, dit « séisme nissart »,  eut beaucoup de répercussions en Europe. Francesco Megiol(30), un marchand génois de passage à Nice un mois après l’événement, envoya une lettre à un de ses correspondants à Nuremberg à laquelle il joignit une carte représentant les villages détruits. L’orthographe des noms des villages ainsi que leur position sur la carte laissent penser que l’auteur n’avait pas une réelle connaissance de l’arrière-pays niçois, mais son intérêt n’en est pas moindre. Sur la carte actuelle suivante on a repéré les principaux noms cités dans ce chapitre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Lettre à M.Jacobo Salomon de Gênes, Monseigneur,
Quand je vous ai quitté la dernière fois, je vous ai promis, monseigneur, de vous informer des derniers événements se déroulant à Constantinople.
Mais d’abord, je voudrais rapporter un événement dramatique et malheureux qui s’est produit et dont le monde doit être informé. Ceux qui me l’on rapporté ne l’ont pas vécu personnellement. Cela commença le jeudi 20 juillet, une heure avant minuit. Un tremblement de terre horrible et terrifiant se produisit à Scarena, près de Villefranche au Piémont, et s’étendit des montagnes jusque dans une plaine et d’énormes vallées. D’énormes quantités d’eau et de débris s’accumulèrent dans la plaine et dévalèrent vers la capitale, Nice, située à côté de la mer. L’eau et la rivière ont causé des dommages considérables. Le tremblement de terre fut si fort et terrible que les habitants fuirent en laissant tous leurs biens derrière eux, et se réfugièrent dans les églises.  Mais, bien qu’elles fussent solides, celles-ci s’effondrèrent. Et beaucoup de personnes moururent cruellement et dans la douleur. Une ville construite sur deux collines fut détruite par le tremblement des montagnes. Une montagne s’effondra sur une autre. De grandes cavernes et des grottes furent crées. Tous ceux qui l’ont vécu ont été terrifiés, et depuis beaucoup en sont morts. Au milieu de la vallée une grande montagne se créa, et se fendit en deux. C’était quelque chose d’horrible à voir, comparable au mont Etna brûlant ainsi avec une grande flamme montant encore et encore dans le ciel. Cet événement effraya les gens. Les sept villages sont entièrement détruits, on n’en distingue presque plus rien. Les villes de Roccamarina, Repella, Sandalingi, Roccaballiera, Villaret et Morena furent détruites. Roccia, une petite ville dans la vallée fut, elle aussi, dévastée et détruite. Les gens ont peur et ne veulent plus y vivre. Tous ceux qui ont survécu ces tristes fléaux se sont enfuis terrifiés dans les montagnes et les vallées pour se mettre à l’abri. Ils arrivèrent juste couverts, ou même nus dans les villes et villages alentours. Ils ne répondaient pas quand on leur posait des questions. Ils étaient irrités et perdus. Jésus, sainte Marie, ayez pitié. Ils n’avaient rien bu ni mangé, étaient terrifiés et souhaitaient mourir. Pendant ces jours vous n’entendiez de partout que soupirs et pleurs. Malheureusement personne ne pouvait les aider. Cinq cents hommes de pied furent envoyés depuis Nice pour les aider. Mais dès qu’ils virent l’horreur de la situation, ils prirent tellement peur qu’ils ne purent les aider. Ils retournèrent chez eux car les conséquences du tremblement de terre avaient été trop sévères. Mais il était urgent d’aider ces pauvres gens, donc ils envoyèrent de nouveaux un grand nombre d’aide dans la zone dévastée. Mais ces hommes ne purent rien faire non plus ; ceci ayant pour conséquence que les hommes vivant là où le tremblement de terre s’était passé moururent. Je voudrais vous dire, monseigneur, que le port de Villefranche s’est effondré dans la mer suite au tremblement de terre. La mer était démontée, et beaucoup de variétés de poissons furent vues, qui n’avaient jamais habité ces eaux auparavant. Le grand tremblement de terre est la cause de tous ces dégâts, et il dura du 20 juillet jusqu’au 6 août. Je finis cette lettre avec ces mots, mais qu’importe ce qui se produira dans le futur, je vous le dirai, monseigneur, aussitôt que possible. Je me recommande à vous et suis votre serviteur, monseigneur.

ADY à Nice, 17 août 1564.
Francesco Megiol, toujours à votre service, monseigneur.

De telles calamités et signes miraculeux doivent nourrir notre cœur et nous rappeler que ces pauvres gens, nos frères et nos sœurs, ont souffert et survécu à la misère. Durant ces tristes et misérables temps ils ont péris dans la douleur. En se rappelant toujours cette souffrance et misère, nous ne devons pas vivre dans le péché, mais nous repentir et demander grâce à Dieu, pour qu’il nous protège de cette fureur céleste, et de telles calamités au nom de son fils bien aimé, notre sauveur. Amen

Imprimé à Nuremberg par Hanns Adam. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

François Arnulphy(32), notaire de Broc dans les Alpes-Maritimes, nota dans son journal :
« A 20 de juillet post ave grand vent et tremblament de la terre et environ la demye nuyt autre tremblament de terre que a mys par terre toutes les maysons de la Bolène et dez autres lieux en terre neusve et y sont mortz beau cop de gens.
A 26 de juillet a retourné d’avant ledit tremblement de terre dont c’est faicte la procession générale au présent lieu du Broc et dict grand messe à la annontiation de Notre Dame de la Foulx pour prier dieu vulhe avoir miséricordie du pauvre puble et cesser son ire et la métigier.
Le luns dy dernier jour de Juillet hure de vespres, encors est retourné le tremblement de terre. »

Foulquet Sobolis, à Aix, est beaucoup plus concis, notant dans son journal « Le XX° juillet au dit an fut faict terre trembant.(33) ». Andrea Moroni et Massimiliano Stucchi dans leur article « Materials for the investigation of the 1564, Maritime Alps earthquake » ([442]) dressent la liste des sources originales et des compilations traitant de ce tremblement de terre. Ils indiquent en particulier qu’un certain Pierre Antoine Boyer aurait indiqué que le séisme avait duré cinquante jours, et que Roquebillière et Belvédère furent exemptés de taxes pendant 10 ans. Aux archives de Turin, une source indique que la ville de La Bollène fut elle exemptée de taxes pendant 20 ans : « Ö A tutti sia manifesto que havendoci humilmente supplicato li diletti fedeli nostri huomini della comunità della Bollena nel contado di Nizza che atteso le ruine et disaggi, da loro patiti per causa di terremoti che successero l’anno 64 et sempre hanno continuato et ancora Ö continuano fosse di buon piacer nostro di essimerli et liberarli di tutti i carichi straordinari tanto reali che personali [Ö] per il tempo di vinti anni (ASTo, 1565-1567) ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Schéma séisme nissart

 

L’épicentre a été localisé dans la région de La Bollène, Belvédère et Roquebillière comme indiqué sur la carte ci-contre construite sur la base des témoignages concernant les destructions. Cette localisation correspond à la faille de la Vésubie qui passe en effet à l’aplomb des trois villages. Comme on l’a vu dans les textes cités précédemment la Bollène a sans doute été le village le plus touché. La destruction de La Bollène est aussi attestée dans un document écrit en 1565 par le notaire niçois Lubonis dans un document intitulé « De admirabili et horrendo terremotu in comitatu Niciense »(34) ; il écrit : « Locus Bolene omnino devastatus et diruptus remansit ». Roquebillière , « Roche Begleure »  dans le texte de César de Nostredame, subit des dommages importants, et d’après les témoignages fut à moitié détruite. Lubonis rapporte qu’il y mourut vingt-deux personnes et que soixante y furent blessées : « … in loco Rocabigliera mortui sunt viginti due e fere sexagesinta vulnerati ».  Il indique qu’à Belvédère ce fut cinquante personnes qui trouvèrent la mort, avec autant de blessés : « … in loci de Bello Vedere mortui sunt quinquaginta et todidem vulnerati. ». Un autre témoignage, de Honoré Laurenti qui rédigeait le livre de la paroisse de Belvédère, indique qu’une grande partie du village fut détruite et quatre-vingt personnes y perdirent la vie, dont une grande partie fut retrouvée sous les décombres. Il mentionne aussi qu’une grande quantité de bétail fut perdue.

Quand on s’éloigne de la zone de l ‘épicentre, les dégâts sont moindres. Ainsi à Venanson où l’église et plusieurs maisons s’écroulèrent, et où huit hommes, le curé et deux femmes furent retrouvés morts dans l’église : « … in loco Venanssoni, ecclesia parochialis cum aliquibus domibus ruinanta fuit ; curatus cum octo viris et duabus feminis intra dictam ecclesiam mortuus est. ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De même à Lantosque où quelques maisons s’écroulèrent et où on trouva trois corps sous les ruines. Ludovic Thaon, originaire de Lantosque édita un traité sur les tremblements de terre en 1616. Il cite les souvenirs de ses parents qui vécurent la catastrophe : « … ma mère fut sauvée sous la voûte d’un escalier, avec un enfant qu’elle tenait dans ses bras quoique toute la maison eût fondu sur elle et eût accablée et tué tous ses domestiques […]. Mon père, qui était à la promenade avec quelques-uns hors le village de La Bollène, ayant entendu le bruit subit et inouï, ne put voir que poussière et flairer une vapeur de souffre … Chacun courut à sa maison secourir les siens, sans s’arrêter aux instantes prières de ceux qui imploraient leurs services en passant ; ce qui rendit bien service à ma mère, car se faisant entendre par ses cris, fut bientôt découverte et désengagée de parmi ces ruines. Ce tremblement mit tout ce bourg sens dessus dessous ; il étouffa presque tous les habitants et mit le reste aux aumônes … ».
A La Roche, Jean Salicis compte cinquante morts ; à Clans, Francesco Blancardi dénombre quatorze maisons détruites : « a Clans aver gettato a terra quattordici case » ; enfin Rimplas aurait été aussi durement touché(35).
Encore plus loin, le château de Saorge fut endommagé comme ceux de La Brigue, de Piène (Breil-sur-Roya) et encore de Vintimille. Des secousses furent ressenties aussi loin que San Remo et Porto Maurizio sur la côte, Borgo san Dalmasso et Taggia dans les montagnes piémontaises.
Les tremblements de terre furent aussi suivis d’un tsunami qui affecta la côte. Ainsi à Antibes où Honoré Laurenti raconte que dans le port la mer arriva « à la manière d’un fleuve, envahissant de nombreux magasins, puis se retira en laissant le port presque à sec. ». On a vu que Francisco Megiol mentionne aussi cela pour le port de Villefranche, ce qui est confirmé par une autre source qui évoque l’abaissement des eaux du port de la hauteur d’une lance : « … al porto di Villafranca il mare se e abassato di una buona lancia ». Les villages de montagnes furent aussi victimes pendant plusieurs jours de glissements de terrain , comme à Saint-Jacques-de-Valdeblore où l’église fut endommagée, les livres paroissiaux enterrés et un homme tué lors de l’événement.
Si la première secousse eut lieu le 20 juillet 1564, de nombreuses répliques, et ce pendant au moins cinquante jours si ce n’est plusieurs mois, continuèrent à secouer la région. Le notaire de Broc consigne par exemple les dates des 26 et 31 juillet 1564, puis les 5, 19 et 27 août, trois aussi en septembre, les 4, 23 et 25, et enfin un le 7 novembre. Ce fut le cas jusqu’en Italie pendant au moins deux mois, à Taggia et à San Remo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On notera, mais cela peut être lié aux auteurs de ces témoignages qui sont tous des laïcs, que ces textes sont purement descriptifs, même si celui de Francesco Megiol n’est pas exempt de compassion. Il n’est pas fait allusion à une quelconque volonté de Dieu de donner aux hommes un avertissement afin qu’ils s’amendent. Francesco Megiol, dans sa conclusion, s’il évoque Dieu, cela semble plus pour obtenir de lui protection contre ces accidents de la nature que pour le remercier d’avoir envoyé aux hommes un avertissement salutaire témoin de sa grande bonté. Ce sera de moins en moins le cas au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans les années de la guerre civile.(36)

 

 

 

 

 

Noms des villages cités et dégâts

Nom actuel

 

Dégâts

La Bollène-Vésubie

La Boullene [31], Morena [310], La Bolène [441] & [442], Bolene [380], Bolena [380]

Détruit ou très largement endommagé - 250 victimes.

Roquebilière

Roche Begleure [31], Roccaballiera [310], Rocabigliera [380] + [442] (Boyer + Roquebilière ms.)

Détruit ou très largement endommagé - 300 victimes.

Belvédère

Beauvers [31], Bello vedere [442] (Lubonis)

Une grande partie du village détruite, de cinquante à quatre-vingt victimes.

Lantosque

Lantousques [31], Lantussia [442] (Lubonis + Roquebilière ms.))

Village à moitié ruiné – Tous les habitants morts sauf 14 enfants.

Venanson

Venasque [31], Venanssoni [380] + [442] (Lubonis + Roquebilière ms.))

Eglise et plusieurs maisons effondrées, 8 hommes, le curé et deux femmes trouvés morts dans l’église + 38 morts.

Rimplas

Repella [310]

 

La Brigue

La Bregue [31] + [442] (Roquebilière ms.))

Château endommagé – plusieurs morts.

Breil-sur-Roya (Piène)

Janue [442] (Lubonis + Roquebilière ms.))

Château endommagé.

Clans

[442] (Blancardi)

14 maisons détruites.

Saorge

Cahours [31], Saurgi [442] (Lubonis + Roquebilière ms.))

Château endommagé et pont détruit.

Le Broc

Broc [441]

 

?

Mage [31]

 

L’escarene

Scarena [310]

 

?

Roccamarina [310]

 

Saint-Dalmas-de-Valdeblore

Sandalingi [310] + [442] (Roquebilière ms.))

 

Villars ?

Villaret [310]

 

La-Roche-Valdeblore

Roccia [310] + [442] (Roquebilière ms.))

50 morts.

Villefranche

Villefranche [310]

Le port se vide (Tsunami ?).

Vintimille

Vintimilla [31] + Vigintimiglia [442] (Lubonis + Roquebilière ms.)

Château et couvent endommagés.

Nom des villages cités, références et dégâts

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Manuscrit de Lubonis relatant le séisme Nissart

Carte Macrosismique du séisme Nissart

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le séisme de Lyon de 1578, ou de La-Tour-du-Pin

 

 

Lyon [415]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme évoqué plus haut, c’est dans un opuscule(37) écrit sur ce qui a été ressenti à Lyon que l’on trouve mention de ce séisme qui s’est produit à plus de 60 km de la ville. Il ne semble pas que l’intensité ait été très importante, et il n’est pas fait mention de dégâts importants. Néanmoins, il est intéressant d’examiner le contenu du document qui fait 5 pages.

L’auteur commence par un rappel des théories sur les causes des tremblements de terre, en mentionnant les Babyloniens : « Les Babyloniens estimoient les tremblemens de terre proceder de l’influence des planettes, principalement des trois procreans les foudres ». Il retient néanmoins la théorie « des vents » : « & est vraysemblable, les vents en estre la seule cause : car jamais la terre ne tremble, qu’en temps calme… » et en déduit quelques signes annonciateurs tel « L’eau des puis s’en rend trouble », et comme Pline l’ancien considère que « les villes qui ont force conduits sous terre, & celles qui sont en pente, y sont moins sujettes ».

Il mentionne ensuite quelques « grands » séismes célèbres répertoriés dans les classiques, avant d’évoquer à la fin de son discours qu’il faut peut être y voir un présage : « Tels evenemens ne sont sans presage : & ne puis croire que celuy qui fut faict le mardy, derniere feste de la Pentecoste, environ les quatre heures apres midy, l’air estant de la qualité susdite, nous esveillant par sa soudaine cholere en ceste ville de Lyon, ne soit un advertissement de Dieu secouant ceste terre, pour nous admonnester de nostre debvoir. » Position assez mesurée qui néanmoins annonce des textes beaucoup plus partisans tels ceux que l’on verra sur les séismes évoqués dans les paragraphes suivants.

Il termine enfin par une description de ce qui a été ressenti, montrant que ce sont plutôt sur les grands édifices que l’effet fut le plus important : « Iceluy tremblement a esté diversement senty à la ville & aux environs, en quelques lieux moins, & en d’autres davantage, & voire de plusieurs non apperceu. Et au contraire ceux qui estoyent aux Eglises, sur les ponts, & grands & amples bastimens en ont receu frayeurs plus grandes. », ce qui lui permet de finir sur une morale :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plustost que les Buyssons les pins audacieux,
Et le front des rochers qui menace les cieux,
Plustost que les cailloux qui nous trompent les yeux
Sont frappez du tonnerre.

 

 

 

 

Le séisme de Tours - 25 janvier 1579

 

 

 

Tremblement de terre (Carmen de tristibus Galliae [321])
Les malheurs que les Huguenots avoient deja causé et debvoient encores attirer sur la France semble avoir esté pronostiqués par les choses surprenantes qui ariverent alors, car lon entendit des tremblements de terre à Lyon, à Geneve, à Vienne en Dauphiné, et particulièrement à Budé où il y en eut un si extraordinaire que plus de cinq mille personnes y perirent. Et le tremblement de terre fut suivy d'un orage si furieux que la plus grande partie des maisons et des églises furent renversées et auroient été réduites en cendre par le feu du ciel, s'il ne se fut trouvé accompagné d'une pluye excessive. La campagne fut entierement désolée et la consternation si grande que chascun croyoit que la fin du monde aprochoit.

 

Avec le séisme de Tours en 1579, on voit apparaître une littérature catholique reliant les tremblements de terre à des avertissements donnés par Dieu aux hommes qui se laissent tenter par l’hérésie protestante, ou qui supportent qu’elle puisse exister. Ils dépeignent de plus en plus vivement ces événements comme des signes annonciateurs du jugement dernier, et reprennent comme dans l’image ci-contre et son commentaire, les éléments liés à l’apocalypse : les éclairs, le tonnerre, le séisme, la grêle… Le clergé va utiliser chaque événement pour déclencher de grandes processions d’actions de grâces, pour remercier Dieu de l’avertissement et pour avoir consenti à en limiter la durée et les conséquences, et dénoncer à la fois ceux qui sont la cause des malheurs du peuple, les huguenots, et ceux qui cherchent des raisons naturelles à ce qui ne doit être interprété que comme le résultat de la volonté de Dieu. On verra aussi utiliser les autres prodiges comme autant de présages, comme l’avait fait Artus Désiré :

« Et afin qu’il ne semble que les advertissements cy dessus soient en vain publiez, il a esté notoirement veu en la France plusieurs signes merueilleux au Ciel de nuées tresobscures en forme de forest, les vnes venant de la partie d’Orient, auec celles de l’Occident significatiues de tresgrande violence. Et combien que le vent vint d’Orient si est-ce que celles d’Occident venoient de plus grande impetuosité, & aux rencontres s’esleuoient en la partie de Septentrion du bas en hault, à plusieurs fois & diuers endroicts des clartez estroictes & longues, donnant tresgrandes splendeur, puis de fois à autre n’apparoissoit aucune lueur, iusques à ce que nouuelles clartez treslongues & peu larges, auec autres obscuritez de pareille longueur & largeur, les vnes d’Orient, les autres d’Occident, de rechef se venoient aheurter, dont de bas en hault s’eslevoient pareilles clartez que celles desquelles auons ia parlé, comme flamme d’artillerie, & girandolles artificielles, montans en forme de fuzées en l’air, puis descendans en pluye dorée, & dont se discernoit aysément la fumée, & encores darder ardeurs & pouldres, en triangle de la partie de Midy, courans & roulans iusques aux extremitez du pays d’Angleterre, qui dura iusques sur le minuict, la veille du iour sainct Michel, avec signes de grande frayeur, & Comettes fort lucides esdictes parties opposites. Ce que ces Signes ainsi diuisez & entrelassez peuuent certainement signifier les diuisions qui se publient en mainctes regions & contrees des religions contraires les vnes autres, & de plusieurs sortes »(38)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le témoignage le plus factuel vient probablement du journal de Pierre Fayet, où l’auteur note sobrement : « Le vingt-cinquième janvier 1579, advint es villes de Bourges et Moulins et autres endroicts de la rivière de Loire, ung tremblement de terre qui fit tomber quelques images es églises et quelques vieilles murailles à Moulins(39)».

 

 

 

Tours [415]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La description du curé de Provins, Claude Haton, est plus détaillée et touche déjà à la propagande :
« Audit moys de janvier (1579), le 25° jour, qui est la feste de la conversion de monseigneur Saint-Paul, fut ung grand tremblement de terre ès villes de Chartre, d’Orléans, de Potiers, de Bloys, de Bourdeaus, de Tours et La Haye en Touraine, et spécialement en ladite ville de Tours, où il fut plus espouventable qu’en nulle aultre des dessus nommées. Et commença ledit tremblement dès les sept heures de matin et dura quasi tout le jour. Les habitants de Tours furent si grandement espoventez, qu’ilz pensoient estre au finement du monde ; plusieurs femmes enfantèrent de peur ; plusieurs personnes tombèrent à terre toutes transies, à demy mortes, froides comme marbre ; des cheminées et vielz édifices tombèrent. Les verrières des églises et maisons gringotoient et sonnoient à merveilles, jusques à tomber par terre en plusieurs endroictz. Le peuple de la ville s’enfuit ès églises pour estre en meilleure sûreté, si luy sembloit, et à haulte voix, avec les ecclésiastiques, crioit à Dieu miséricorde, les prebstres se confessant les ungs aux aultres et par après le peuple à eux. On voyoit à veue d’œil les plus grands et somptueux bastimens de laditte ville, tant les églises qu’aultres, trembler d’une façon espoventable. Le tremblement cessé, le peuple reprint courage, et d’une dévotion incroiable rendit graces à Dieu, estans tous en ceste volunté de convertir leur meschante vie en une meilleure, affin de ne tomber en l’yre de Dieu, en laquelle ilz pensoient avoir esté avant ledit tremblement. Les ecclésiastiques, les justiciers et tout le peuple résolurent et publièrent la procession généralle de toute la ville se debvoir faire au lendemain, pour remercier Dieu de la miséricorde dont il avoit usé envers eux. Au jour dit, le peuple de toutes qualitez, de tous sexes, de tous âges, jusques aux petits enfans, se rassemblèrent chascun en l’église de leurs parroisses, et par après toutes les églises et parroisses avec les monastères s’assemblèrent en la grande église mons. St. Martin, et de là, avec les relicques et ossements des sainctz, fut faicte la procession hors la ville, en laquelle se trouvèrent plus de trois cens personnes nues de corps, teste, piedz et mains, n’ayant devant elles qu’un simple linceuil ou linge pour couvrir la vergongne de nature ; aulcuns, par pénitence, portoient de grosses barres de fer sur leurs espaules, aultres de grosses pièces de bois ; les prebstres estoient tous nuds pieds et bien simplement vestuz. Le peuple, au jour du tremblement, s’estoit voué à plusieurs pélerinages ès lieux sainctz ; dès les premiers jours d’après laditte procession, chascun se mit en chemin pour aller accomplir lesditz pèlerinage.
Si la terre n’eust tremblé qu’à Tours ou en une seulle aultre ville, il eust semblé que le vent eus testé cause dudit tremblement. Car les vens qui sont,  ainsi que disent les philosophes, enserrez soubz la terre, sont quelquesfois cause des tremblements d’icelle, quand, ne povant trouver leurs canaux ou souspiraux pour sortir, esbranlent laditte terre qui de soy est creuse et la font trembler, jusques à ce qu’ilz ayent retrouvé leurs souspiraux et pertuis. Mais on peult douter que le tremblement dessus dit n’est provenu par les vens, ains par permission de Dieu, pour tirer à pénitence le peuple de France, veu que ledit tremblement a esté tout en ung jour et à mesme heure, en plusieurs villes, distantes de quinze, trente, quarante, soixante et cent cinquante lieues, et qu’audit jour le temps, dès le matin et toute la journée, fut beau, clair et serein, sans faire grans vens, du moings en ce pays.(40)»

Si Claude Haton aborde le sujet des causes naturelles dans sa conclusion pour essayer de démontrer que la théorie « des vents » en vigueur ne peut expliquer l’ampleur et l’étendue de ce séisme, il le fait néanmoins avec une approche presque scientifique, tirant sa conclusion d’observations, et essayant de convaincre par la raison plutôt que d’asséner une vérité à laquelle il faut croire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le ton est différent dans le « Discours espouvantable de l’horrible tremblement de terre advenu és villes de Tours, Orleans & Chartres, le lundi xxvj. Jour de janvier, dernier passé, 1579 ».(41) Déjà le titre de l’ouvrage est remarquable, il ne s’agit plus d’expliquer ou de relater, mais de faire peur, et le même modèle sera repris pour des opuscules similaires édités après les séismes de Calais en 1580 et d’Angers en 1588.


L’auteur commence par louer la bonté de Dieu qui condescend à ne semer la désolation que de façon limitée de façon à ce que les hommes, reconnaissant ses signes, puissent s’amender comme le firent dans l’histoire certains peuples anciens tels les « Ninivites(42) » au contraire des misérables juifs qui jamais ne comprirent qu’il fallait renoncer à leurs erreurs :
« La bonté et misericorde de Dieu est si grande que jamais elle ne punit aucun l’ayant offencé que premierement elle ne luy tende la main, admoneste & convie de retourner vers sa clemence & pieté, soit par douceurs (que souvent nous negligeons) par maladies ou autres afflictions autant pesantes, & bien souvent pas signes et prodiges […] Les juifs en la miserable Jerusalem n’ont fait le semblable, par ce que demeurans ensevelis en leurs pechez, nul advertissemens a eux envoyez de la hault les ont peu induire ou à requerir misericorde & moins à penitence […] ont esté presque tous submergez en une mer rouge, engloutissement de leurs pechez. »


Il constate ensuite que la situation dans laquelle se trouve le peuple de France n’est pas différente de celles dans laquelle se trouvaient les peuples de l’antiquité à qui avaient été envoyés les mêmes avertissements :
« Une grande partie du peuple est maintenant si desbordee du sentier de verité & adonnee à tant de sortes de vices, qu’il semble proprement qu’ils auroyent volontiers envie de crucifier Dieu une autre fois. En quel aage aussi y a-il eu d’avantage de guerres civiles, cherté de vivres, charité plusabolie, meurtres, assassinats, & larcins […] Et qui en est la cause ? que nous contemnons les commandemens de Dieu & faisons tout au contraire, ne prenans garde aux remonstrances qui nous sont faites ordinairement par ceux qui nous annoncent sa saincte parolle, les mesprisants, & contemnans la justice. »


Il lie(43) dans le même paragraphe les guerres, les vols, l’insécurité, la cherté de la vie, et en toile de fond le tremblement de terre, aux conséquences du manque de foi, vecteur pour mobiliser le peuple catholique contre les hérétiques huguenots.
Avant de décrire le désastre, il prévient qu’il est inutile de chercher ailleurs que dans la volonté de Dieu les causes de ce qui est arrivé :
« & nonobstant on n’en fait aucun estat, sinon que philosophiquement on veur recercher la cause de tels & autres prodiges : & plusieurs sont siosez que dire cela estre naturel : non, non C’est qu’il nous faut retourner vers Dieu. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chartres [415]

 

Comme on le voit, il ne s’agit pas comme pour Claude Haton de démontrer mais de nier la possibilité même de rechercher une cause naturelle ; bientôt, comme pour l’interprétation de la bible elle même, il sera considéré que la recherche d’explications naturelles à l’encontre de ce qui sera révélé par le clergé est un crime contre la religion.

La description que l’auteur fait de l’événement est ensuite très proche de celle que l’on trouve chez Claude Haton au point que l’on peut se demander s’il n’y avait pas une source commune (ou si Claude Haton n’avait pas eu connaissance de cet opuscule). On notera néanmoins l’utilisation beaucoup plus fréquentes d’adjectifs, de verbes ou de noms participants d’un registre anxiogène : horrible, épouvantable, horreur, lamentables cris, piteuses complaintes, désolation, tremblement, frayeur, terreur, ruine, furie, dernier jour,…  Il mentionne aussi ce qui s’est passé au même moment dans les autres villes touchées par le séisme, soit Orléans, Chartres(44), Poitiers, La Haye en Touraine, Bordeaux et Blois afin d’insister sur son universalité et son étendue qui témoigne de l’impossibilité d’une cause naturelle.

 

Il décrit ensuite le formidable élan de piété du peuple qui se retrouva dans les églises pour rendre grâces « au Tout-puissant de les avoir preservé de peril si eminent. » dès le premier jour, puis les processions organisées dans la ville avec présentation des reliques et participation de pénitents(45)(46), suivies de grandes messes. Il conclut enfin en appelant les croyants à reconnaître le signe de Dieu, et à ne pas se réconforter dans de fausses explications naturelles. Il reprend la théorie d’Aristote pour en montrer l’inutilité, et pour associer dans la même volonté divine et les tremblements de terre et les épidémies de peste(47) qui souvent s’ensuivent.

 

« Je concluray donc que ces tremblemens ne sont autre chose que un advertissement de nous reconcilier à Dieu, & faire penitence de nos fautes passees, amendant nostre façon de vivre. ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Carte macrosismique du séisme de Tours de 1579

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le séisme de Calais - 6 avril 1580

 

La terre s'ouvrit et laissa voir des hommes armés se combattant avec un bruit effroyable.

 

 

Le tremblement de terre qui a eu lieu le 6 avril 1580 dans la région de Calais a été ressenti en France jusqu’à Paris et Rouen, en Angleterre jusqu’à Londres, ainsi qu’en plusieurs ville de Belgique et des Flandres.

 

 

Calais [415]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Claude Haton(48) en a fait une description détaillée:

« Le 6° jour du moys d'apvril, advint ung grand et espoventable tremblement de terre dans les villes de Chasteau-Thierry, de Soissons et de Laon, en ung village près la Fère en Picardie, à Rouen, Pontoise, Poissy, St-Germain-en-Laye lez Paris, Beauvais, Calais, et en quelques endroictz de la ville de Paris, tout en ung mesme soir et mesme heure dudit 6e jour d'apvril, le tout bien vérifié par leshabitans desdittes villes et lieux et aultres qui y estoient logez, ainsi que nous en avons sceu par eux le discours. Nous parlerons premièrement de la ville de Chasteau-Thierry-sur-Marne, qui est la plus proche de la ville de Provins, en laquelle commença ledit tremblement de terre, dès les six à sept heurès du soir, dans le chasteau, qui est assis au pied d'une montaigne et rocher fort ferme. Duquel chasteau tremblèrent les logis si rudement, que les chiennetz ou landiers qui estoient souhz les cheminées tombèrent à terre, tant ceux des chambres basses que des haultes, comme aussi firent-ilz en plusieurs maisons de la ville, où furent cassez plusieurs potz de terre et verre, qui estoient sur les dressoirs, planches et buffetz desdittes maisons. Les verrières des églises et maisons sonnoient et retentissoient à merveilles et en telle sorte que les habitans babandonnoient leurs logis, de peur qu'ilz tombant ne les accablassent dessouhz. Et dura ledittremblement deux nuictz l'une après l'aultre, et non de jour. Le fauxhourg St-Nicolas, qui est oultre la rivière, du costé de la Brie, ne trembla aulcunement, et n'y eut que la ville et chasteau. Les habitans coururent à l'église pour prier Dieu de les conserver, et firent, pour apaiser l'yre de Dieu, des processions par chascun soir jusques au jour de l'octave de Pasques, en jeusnant et confessant leurs pescbez.
A Rouen, les maisons tremblèrent depuis quatre heures du soir jusqu'à minuit; les verrières des églises et des maisons furent brisées, quelques parties des voûtes de la cathédrale s'écroulèrent. A Calais, une portion des murailles de la ville et plusieurs maisons tombèrent, la terre s'ouvrit et laissa voir des hommes armés se combattant avec un bruit effroyable. Il fut rapporté que le tremblement s'était fait sentir en plusieurs endroits de la ville de Paris, et nommément à l'hôtel de Nesle, où logeait madame de Nemours; mais le fait n'a pas été suffisamment constaté. Ce fléau, avec plusieurs autres, guerres, maladies, etc. est un signe de l'approche de la fin du monde. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pierre Fayet dans son journal note seulement : « Le sixiesme avril, la terre a tremblé à Paris. »(50) Pierre de l’Estoile est plus prolixe: « Ce mercredi 6° avril 1580, advint tremblement de terre espouvantable à Paris, Chasteau-Thierri, Calais, Boulongne et plusieurs autres villes de France, petit toutefois à Paris au prix des autres villes.(49)»
A Rouen, on trouve dans un opuscule chrétien écrit à la suite du séisme qu’ « […] en date du vi. jour de ce present mois : esquelles ({dans les lettres recues par l’auteur}) est contenu que le jour susdict, le temps estant clair & serain, sans aucuns vens, foudres, ny tonnerres, sur les quatre à cinq heures du soir, il y eut un tel tremblement de terre en ladicte ville de Rouen, que plusieurs des églises & bastimens de ladite ville, en ont esté grandement endommagez. ». Le porteur de ces lettres arrivant à Pontoise, se rendit compte que le tremblement de terre avait été général alors que « s’estant transporté en l’église nostre Dame dudit lieu, & il vit comme toutes les verrieres de ladicte eglise estoient toutes rompues & cassees & mesmes quelques pierres estoient tombees des voultes en baeucoup d’endroits. »(51).

 

 

 

 

 

 

 

Plus proches de l’épicentre  c’est avec plus de passion que les chroniques ont été écrites. Le maire d’Abbeville (Somme), Antoine Rohaut, consigne :

« Le mercredy des festes de Pasques, sixiesme jour d’avril mil vc quatre vingtz, entre six et sept heures après midy, advint ung tremblement de terre quy dura peu de temps et néanmoins espoventa plusieurs personnes, les rendant en admiration pour estre une chose inacoustumée. Ledit tremblement de terre fut aperceu d’aucuns et non des aultres. On conjonctura que Dieu estoit couroucé contre ses créatures…. ».

Le greffier de l’échevinage d’Arras, dans le Pas-de-Calais écrivit : « Sur les cinq heure et demye aprez midy, seroit advenu en ceste ville et territoir ung tremblement de terre qui n’auroit guerres duré seulement environ la moitié d’un demy quart d’heure, quy auroit causé que plusieurs couvertures de cheminées vieilles et caduques seroient tombées en divers lieux en ceste ville ; lequel tremblement de terre pour n’avoir oncques esté oy ny sentu en ces quartiers, auroit fort estonné les habitans de ceste dite ville et pays, encoires plus aprez avoir entendu qu’il auroit esté général partout, ayant icelui tramblement esté plus grand et espouvantable es lieux approchans la mer et en iceux ayant porté grand domaige, signament en la ville de Calais où aucunes maisons signallées, mesme le belfroy d’icelle ville auroient esté les aucunes ruynées du tout, aultres en partie et le belfroy ouvert et party en deux, estant demeuré la partie où estoit le ghueteur. ».

Pour Calais, on trouve aussi trace d’un violent mouvement de mer, sans doute un tsunami: « & mesmes que la mer avoit passe ses bornes accoustumees, & en avoit grandement endommagé les murailles de ladite ville de Calais(52) ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Douvres

 

A Boulogne-sur-Mer les dégâts furent aussi importants à la lecture d’un procès verbal établi par le chapitre Notre-Dame de cette ville :

« Si solides qu’ils soient, les édifices de la ville furent agités comme feuilles au vent. […] La masse même de la terre était remuée comme une balle dansant sur un filet. […] La pyramide du clocher de Notre-Dame oscillait en tous sens. Me faîte de la tourelle toute proche du lieu capitulaire (battue par les vents depuis les coups de bombardes anglaises lors du siège de Boulogne) s’écroula. De nombreuses pierres tant dans le chœur de l’église que dans les chapelles adjacentes tombèrent. […] Les maisons des particuliers souffrirent aussi : dans quelques-unes, la vaisselle et autres ustensiles tombèrent sur le sol ; on vit les tables et les convives s’élever presque à la hauteur de deux pieds et les verres placés devant eux se briser ; dans certaines caves des tonneaux remplis de vin, enlevés à leur chantier, tournoyèrent … » ;

encore à Lille : « Environs les six heures du soir fit tel tremblement de terre à Lille et en plusieurs villes circonvoisines dont tombèrent par ledit tremblement plusieurs cheminées, verrières rompues. Pareillement en ladite ville tomba l’égille du petit clocher de la chapelle Notre-Dame de Lorette emprès le grand portail de Saint-Etiesnne et en plusieurs villages, les cloches sonnèrent de la grande véhémence dudit tremblement. ». 

A Douai (nord), on trouve dans le registre aux mémoires de la ville : « Un grand et espouvantable tremblement de terre ayant causé cheute de pierre d’aulcunes maisons ».

A Rumégies, dans le Nord, on trouve encore : « La terre trembla si fort que pot, paielle, plats, caudrhons tomboient rus des asseelles ; plusieurs furent ruées par terre ; les cloches en aulcuns lieux sonnoient du tremblement de terre. ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’épicentre de ce séisme est estimé avoir été entre Douvres et Calais du fait de la répartition des dommages. En Angleterre c’est surtout la ville de Douvres où semblent avoir eut lieu le plus de destructions ; une partie des falaises s’écroule dans la mer, entrainant avec elle une partie des murs du château. Les villes de Sutton, Sandwich et Saltwood subirent de fort dommages. S’il fut ressenti à Londres, les dommages y furent mineurs.

Claude Haton qui dans ses notes sur le tremblement de terre de Tours de 1579 invoquait, même si c’était pour la dénoncer, la théorie d’Aristote sur l’effet du vent, dans son texte sur Calais n’hésite pas à faire appel au surnaturel : « une portion des murailles de la ville et plusieurs maisons tombèrent, la terre s’ouvrit et laissa voir des hommes armés se combattant avec un bruit effroyable ». L’église préférait sans doute ces explications surnaturelles qui permettaient d’invoquer la colère de Dieu et la nécessité de réformer les mœurs et de courir sus aux hérétiques, plutôt que les tentatives d’explications naturelles. Les « raisonneurs » étaient craints car possibles sources de défiance par rapport au clergé comme on peut le voir dans cet extrait d’un autre occasionnel publié sur le même événement(53) : « Il n’est question de cercher icy aucun subterfuge, ia ne fault amener les raisons naturelles ; le lieu est si evident, qu’il est mesme clair aux aveugles. Je scay que les Physiciens se opposeront de prime face à mon dire, pour estre advenus jadis souvent choses semblables : pour avoir veu des villes par tremblement de terre abysmées, renversées & fort esbranlées : pour avoir leu certaines raisons de tels evenemens : si suis-je asseuré qu’ils seront en fin contraints de m’acorder qu’il y à icy quelqu’autre respect, & que toute la raison naturelle y est confusse. ».

 

 

 

 

 

 

 

 

La construction de la brochure est caractéristique de l’utilisation que faisait l’église de ces catastrophes qui touchait tant aux peurs de l’homme, comme Sénèque le notait déjà. Après une brève description des événements, l’auteur témoigne avec émerveillement des processions qui se sont organisées pour rendre grâces à Dieu et du grand nombre de personnes qui y participèrent, tout en convenant que l’initiative populaire avait été soutenue par l’obligation faite d’y assister : 

« Dequoy tout le peuple estant grandement esmeu, le clergé surce assemblé commanda tout sur l’heure, que par toutes les parroisses de ladicte ville, on eut à faire processions & prieres publiques jusques à minuict & apres minuict […] & fut enjoint à toute personne de justice, & qu’un chacun eult à fermer sa boutique, & se mettre en prieres & oraisons ».

Il fallait ensuite convaincre que ces événements n’étaient pas naturels et qu’ils étaient des avertissements que Dieu donnaient aux hommes et qui annonçaient la fin du monde. Il fallait ensuite insister sur l’état de péché dans lequel les hommes étaient alors qu’ils étaient si proches du jugement dernier « Quand est du premier qui se sent estre hors de la grace de Dieu, pour estre en peché mortel, doit bien penser avecques grant cogitation qu’il ha à mourir, & qu’il ne seait ne quant ne comment, n’en quel lieu, & que s’il mouroit en peché mortel, il iroit tout droit en enfer, ou il ny a autre chose que peine, pleurs, & grant misere. ».

L’auteur veut ensuite convaincre de la nécessité de se trouver un « bon confesseur » et de communier au moins quatre fois par an : « C’est à savoir à Pasques, à la Penthecouste, à l’Assumption nostre Dame, & à Noel, ou plus ou moins selon le conseil de son confesseur. ».

Il conclu, de manière assez étonnante après avoir dit que l’on ne pouvait pas savoir si on était dans la grâce de Dieu, sur les signes qui peuvent laisser penser que nous sommes sauvés : « […] quand l’homme à ferme propos de ne jamais l’offenser, pour l’amour seulement qu’il luy porte […] quand l’homme garde les commandements de Dieu, & qu’il y prend plaisir […] quand il commence à avoir le monde en ennuy, avec tous ses plaisirs […] quand il se delecte à ouyr la parolle de Dieu, & les predications, & prent plaisir à la messe devotement dicte(54) […] quand l’homme prent patiemment toute tribulation. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Effets sismiques (Calais 1580)

 

Carte macrosismique du séisme de Calais de 1580

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le séisme d'Angers - 25 mars 1588

 

O miserable, double de malice ne te repens tu point de ta vie ? les cheveux ne te herissent ils point ? […] C’est folie d’alleguer tes raisons naturelles & philosophiques que ce sont des vents, lesquels enclos dans la terre, pour n’avoir exhalation ny respiration, invitent à ce grand tremblement.

 

 

 

Le 26 mars 1588, un tremblement de terre se produisit dans la région d’Angers(55) ; Louis Vivant fit une description(56) de ce qui fut ressenti à Nantes dans un traité qu’il dédia à Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercoeur et gouverneur de Bretagne. :

 

 

 

Duc de Mercoeur

 « Soyez donc averti, monseigneur, que le vendredi vingt-cinquième jour de mars 1588, jour de l’Annonciation, environ les onze heures du matin, le temps étant assez calme, le vent Suest, lorsque se célébroit la Grand’Messe, fut oui par toute la Ville un gros bruit, ronflant & grondant avec un tressaillement & tremblement de Terre assez grand, pour la simple passée & course qu’il fit, de sorte que le Peuple, qui étoit en grande afluence ès Eglises, en fut tout instamment effraïé, fors les uns qui pensoient que ce fussent quelques carosses que l’on menât par les rues : les autres se doutoient que ce fût la mine de la porte Sauvetour qui eût joué : ceux qui étoient ès maisons, en un moment jugeoient le feu être pris ès cheminées entendant même bourdonnement que lorsqu’il y est allumé : & même plusieurs craignoient que le feu fût en la maison. Ce bruit & ce tremblement ne fut seulement en la Ville & Faux-bourgs, mais à Nozay, Encenis, Oudon, Mauves, Carquefou, Saint-Erblein, Saint-Etienne, Bloi-la-Haye, Basse Goulaine & en la Haute-Goulaine principalement, de quoi les Païsans furent si étonnés plusieurs en ces lieux-là, qu’ils quitterent le Service, & abandonnerent le Prêtre qui célébroit la Messe. La riviere même fut vue bouillonner à même temps. Ce prodige présage beaucoup de calamités & un admirable changement en cet Etat.

Ce tremblement nous avertit de venir à la vive connoissance de nos fautes. Comme aussi ces derniers jours nous avons été admonestés par les hommes en feu ; qui ont été vus se combattre en l’air, par les Batteliers du Païs d’Amont, vers Tours & Saumur… ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au-delà de ce rapport presque officiel, on a trouvé plusieurs autres témoignages de l’événement, tel à Saint-Mathurin-sur-Loire on trouve:

« Tremblement de terre universel. Le vendredi, jour et feste de l’Annonciation Nostre Dame, XXVème [de mars], lorsqu’on disoit l’évangile, moy soubzsigné, célébrant la messe, fist un grand tremblement de terre lequel fut universel et trembla par trois fois. Que certifie soubz mon seing. Les dit « jours » et an. Dieu par sa sainte  grâce nous ceuille garder.(57) ».

Dans le registre paroissial de Bouille-Menard (Maine-et-Loire) la description du séisme est plus précise : «  Le jour de l’annonciation Notre Dame, vingt cinquiesme jour de mars l’an susdict environ dix heures du matin, lhors que je commençois la grande messe,il feist un grand tremblement de terre et s’entendit un grand bruit en l’air qui estonna beaucoup et moy et tous ceulx qui estoient en l’église, desquelz plusieurs en yssirent hors car il sembloit que fussen un ou deux chariotz un cocher qui passassent fort impétueusement par davant le chanceau de l’église. Ce bruit fut entendu de touz […] et lhors le temps estoit clair, l’air sans […] et fesoit fort grand seicheresse. Ce bruit et tremblement dura comme on arresteroit à dire deux fois pater noster et ave maria ou environ. Le soir du lundy auparavant, il avoit aussi esté un aultre bruit ou tremblement non touteffois si grand ni bruiant comme cestuy cy. En ces mesmes jours, on veoit aussi au soir de grandes clartes ou illuminations vers le costé de l’air de neuf à dix heures du matin.(58) ».

A Erigné, on trouve dans les registres de la fabrique : « Le 25 mars 1588, jour de l’Annonciation, un tremblement de terre se fit sentir à six heures du matin. Il sépara le mur de l’église d’Erigné du côté nord ; plusieurs maisons, proche l’église eurent beaucoup à souffrir du tremblement de terre ; les habitants de la paroisse furent consternés et crurent que la fin du monde était arrivée. »

Enfin, dans les archives du chapitre Saint-Laud d’Angers, un texte qui tout en finissant en rendant grâce à Dieu, ose évoquer l’origine naturelle du séisme en résumant la théorie d’Aristote : « Par écrit nous notons ici pour le présent et pour l’avenir, que cette année, le jour de l’Annonciation de la sainte Vierge, pendant que la grand’messe se chantait dans les églises, tout à coup il se fit un tremblement de terre si violent que tous les fondations et les murailles s’ébranlèrent et tremblèrent très fort par l’impétuosité des vents enfermés et s’agitant dans les entrailles de la terre pour chercher une issue ; grande terreur et grande épouvante se répandit partout dans les foules des fidèles rassemblés dans les églises. A cette cause fut faite une procession générale, le même jour, jusqu’au Ronceray, au-delà des ponts ; dans laquelle procession, quelles multitudes d’hommes s’y pressèrent pour rendre du fond du cœur des grâces immortelles à Jésus-Christ, notre protecteur, la langue humaine peut à peine l’exprimer. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Angers

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Célestin Port, dans son ouvrage « Notes et notices angevines » cite plusieurs témoignages ou récits de ces événements. En particulier celui d’un certain Louvet(59) : « Il faisoit ung beau temps, accompaigné de la clarté du soleil, lequel estoit fort beau et ne faisoit aucun vent. Durant qu’on célébroit la sainte messe et que le peuple estoit aulx grandes messes aud. Angers, il fist ung tremblement de terre, qui estoit et fust si grand, qu’on pensoit que tout alloit tomber et abismer et que les église alloient cheoir par terre, qui rendist une si grande espouvante au peuple, qui estoit ès églises, qu’on s’entrestouffoit à qui sortiroit des premiers, à raison du tremblement des viltres et des voustes desd. Eglises ; mesme que les prestres, qui estoient à célébrer la messe aulx autels, prenoient la fuite de lapeur qu’ils eurent, à raison du tremblement des voustes des dittes esglises, desquelles il tomboit de la chaux, que d’un grand bourdonnement, qui se faisoit au ciel, lequel tremblement estoit ung avertissement de la part de Dieu de s’amender et un augure de beaucoup de maulx qui sont depuis arrivez. ». Célestin Port cite un autre historien, Roger(60), qui lui vit dans le tremblement de terre l’annonce de la victoire catholique d’Auneau : « Il se fit à Angers un horrible tremblement de terre sur les dix heures du matin. Quelques-uns en furent si espouvantés qu’ils pensèrent en mourir de peur. Cela pouvoit estre un présage du combat de Vimory et de la bataille d’Auneau, où le duc de Guise se vengea sur les huguenost et les reitres de la disgrâce que les catholiques avaient soufferts à Coutras. »

 

 

 

 

 

 

 

 

Si Louis Vivant évoque l’origine divine du tremblement de terre, propre à terroriser le peuple, le clergé, dans ces temps où il fallait mobiliser le peuple pour le pousser à se battre pour les intérêts de l’église, devait utiliser encore et encore ces événements naturels pour justifier leurs prêches. En 1588 aussi, parut un opuscule « Sur le tremblement de terre survenu à Angers le 26 Mars 1588 » ([367]), du « Conseil Chrétien », et qui lui va plus loin dans l’interprétation de l’événement et dans la condamnation de ceux qui voudraient y voir une origine naturelle. Pour l’auteur, la raison, ou l’usage de la raison pour interpréter la réalité, est l’un des plus grands dangers qui menacent l’humanité : « C’est un grand mal-heur aux Monarchies Chrestiennes, & une coustume odieuse […] que d’endormir par discours inutils les Rois, Princes, Republiques & peuples, remettant à la nature l’évenement perilleux de tous les presages que Dieu nous envoye par advertissements pour nous amender & redouter ses jugemens. »

Et au-delà, il accuse ceux qui recherchent des causes aux événements d’être dépravés, il accuse la science naissante d’être consubstantielle au vice : «  Mais toy libertin […] pour ce que tu es plongé aux vices […] tu gouste & savoure le fruit amer de ta concupiscence […] Mal-heureux tu te couvres & te perds en tes songes vains, en tes raisons naturelles, en la mescognoissance de ton Dieu. ». Et continue en leur prévoyant malédiction éternelle : « O Atheistes, qui vous moquez du seul Dieu, […] vous le sentirez à vos despens : ô gens perdus & abominables, qui mettez en ruine & abandon les Republiques […] souffrirez tourmens perdurables & eternels […] ».

Il exhorte  ensuite le roi, le peuple, à s’amender et à combattre le péché, la dépravation des moeurs entrainant la persistance des malheurs sur la France : «  Ne t’effroie tu point de tant de guerres passées sanglantes, de tant de feux au ciel, de tant de desbordemens d’eaux, de tant de famines, tremblements de terre, & de celuy advenu le XXV, de ce mois à Angers […] ». Il reprend ensuite la description de Louis Vivant en rajoutant que « le feu du ciel brusla deux cens mille arbres. ». Il relie cet événement à des événements similaires du passé récent en citant une pluie de sang et ses effets : « L ‘an mil cinq cens quatre vingts cinq, au pont de Sel pleut du sang, au mois de Septembre le chasteau d’Angers fut pris & rendu le vingtiesme d’Octobre ensuivant », et plus ancien pour en montrer la permanence : « Du feu du ciel brusla le clocher de sainct Julien du Mans, l’année mil cinq cens soixante deux ».

Il termine ensuite en essayant de ramener à la raison les pêcheurs qui verraient des phénomènes naturels là où on doit voir des avertissements de Dieu, les insultants comme il se doit : « O miserable, double de malice ne te repens tu point de ta vie ? les cheveux ne te herissent ils point ? […] C’est folie d’alleguer tes raisons naturelles & philosophiques que ce sont des vents, lesquels enclos dans la terre, pour n’avoir exhalation ny respiration, invitent à ce grand tremblement. ».  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un autre imprimé sur le séisme est plus modéré, il parut aussi en 1588 et a comme titre « Effroyable tremblement de terre advenu en la ville & cité d’Angers, le vendredi vingt cinquiesme mars, mil cinq cens octantehuict »(61). L’auteur rappelle la théorie d’Aristote en le nommant, et fait allusion à l’idée qui sera reprise par Gassendi sur la détonation de gaz souterrains, mais c’est surtout pour inciter le lecteur à prendre de la hauteur  selon un procédé que l’on considérera souvent sous le nom de « jésuite » dans le monde moderne(62): « Or Jaçoit que ces choses soient de vraye & prudemment selon le discours naturel considere, toutesfois, l’homme Chrestien ne se doit arrester là où les Philosophes fichent leur pied, ains doit passer plus outre, & eslever son esprit beaucoup plus haut, sçachant que Dieu par sa sagesse & puissance infinie se sert des choses naturelles pour chastier les pechez des peuples…. », avant de finir par une oraison de Moise et une de Salomon incitant le peuple à apprendre du malheur des autres :

 

 

 

 

Heureux sont ceux qui pour devenir sages
Du mal d’autruy font leurs apprentissages.

 

 

 

Carte macrosismique, Angers

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conclusion

 

 

Les opuscules qui ont été publiés juste après les tremblements de terre qui frappèrent la France pendant la seconde moitié du seizième siècle témoignent à leur manière des troubles de religion. Si en 1564, ce sont surtout les conséquences du séisme et la misère du peuple qui sont relatées, en 1589 le ton s’est fait plus polémique, on accuse le peuple d’être la cause de la catastrophe. Il n’est plus question de permettre d’invoquer la possibilité de raisons naturelles, mais de condamner ceux qui « ont conçus la possibilité de faire des découvertes ».

On ne peut s’empêcher ici de citer une nouvelle fois Lucrèce:

 

 

 

En ces temps éloignés, les mortels…
    ... observaient aussi le mouvement des astres,
    Le retour des saisons, dans un ordre immuable,
    Qu’ils ne pouvaient en rien expliquer par leurs causes.
    Leur seul recours fut donc d’attribuer tout aux dieux,
    De tout interpréter comme un signe divin.
    …
    Ô race infortunée des hommes, qui prêta
    Aux dieux de tels pouvoirs, d’effrayantes colères !
    Que de gémissements pour vous, pour nous combien
    De souffrances, pour nos enfants combien de larmes(63)

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette charge contre la raison que nous avions déjà vue rattachée au camp catholique lorsque nous avions examiné les écrits des années 1550-1560 (voir « La guerre des mots ») est caractéristique de cette église ne se battant plus que pour son rôle temporel, pour ses bénéfices et ses privilèges, et essayant de chercher dans le peuple le soutien nécessaire pour conduire ses guerres sans merci, pour le convaincre que son salut et sa paix ne réside que dans son acceptation sans question de la parole des représentants de l’église catholique, apostolique et romaine :
« […] tu brusle d’un desir violant à considerer les secrets de Dieu, ausquels tu ne peut atteindre la cognoissance, pour ce que tu n’as la foy : mais un ame ingrate ? O homme de terre, contien toy en l’obeissance de Dieu […].(64) 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notes
(1) Sénèque, [429], livre VI, 1 & 3
(2) Artus Désiré, « Les quinze signes advenuz és parties d’Occident … », [185] page C2.
(3) L'érudit Qin Keda, qui a survécu au tremblement de terre, en a rapporté quelques détails et en a tiré comme conclusion que les gens n'auraient pas dû sortir immédiatement, qu'il valait mieux se tapir au niveau du sol et attendre : car même si le nid s'effondre, quelques œufs peuvent être conservés intacts. [Wikipedia]
(4) Pour ce chapitre voir en particulier Louis Chatelain, [435]
(5) Aristote, [432]
(6) Lucrèce, [433]
(7) Sénèque, [429], Livre VI
(8) 64 av. J.C. – entre 21 et 25 ap. J.C.
(9) Ile d’Ischia, formée par les laves de l’Epoméo.
(10) Strabon, « géographie », [430], livre 1, 3 § 10
(11) Bruno helly, [431]
(12) 23 – 79, « Histoire naturelle », livre II, §81 à §95 [434]
(13) Un des derniers historiens du monde romain, né en 330 et mort vers 395. Son histoire, « Res Gestae », couvrait la période allant de 96 à 378, mais seules les années 353 à 378 ont été conservées.
(14) Histoire de Rome, [439]
(15) Ville d’Asie Mineure, nommée aujourd’hui Izmit. Après le séisme de 358, elle fut frappée une deuxième fois cinq ans après en 363.
(16) [Jean-Paul Poirier / Histoire de la sismologie]
(17) Gassendi, [438] tome V, pages 119 – 136
(18) Voir en particulier Jean-Paul Poirier, [436]
(19) Valeur très inférieure au valeurs de § km.s-1 et de 4 km.s-1 qu’ont les deux types principaux d’ondes générées par les séismes.
(20) Jean-Paul Poirier, [436]
(21) Site du BRGM, portail sisfrance.
(22) [Wikipedia]
(23) Apocalypse de Jean, VIII, 5
(24) Apocalypse de Jean, XI, 19
(25) Marie-Hélène Congourdeau, [445]
(26) Nicétas Choniatès (anciennement appelé, par erreur, Nicétas Acominatos) est un administrateur et historien byzantin, né vers 1155 à Chônai, en Phrygie, et mort en 1217 à Nicée. [Wikipedia]
(27) Andronic II Paléologue (grec : Ανδρόνικος Β' Παλαιολόγος), né le 25 mars 1259, mort au mont Athos le 13 février 1332, est empereur byzantin du 11 décembre 1282 au 23 mai 1328. Il est le fils de Michel VIII Paléologue et de Théodora Vatatzès. [Wikipedia]
(28) http://www.sisfrance.net
(29) Seules les données couvrant la période 1965-2007 ont été représentées sur ce graphique ; elles ont représéentées par des triangles verts. Les années correspondant à chacun de ces triangles s’obtiennent en rajoutant 400 à la valeur figurant sur l’axe horizontal.
(30) Francesco Megiol, [310]
(31) César de Nostredame, [31], pages 800&801
(32) 1543 – 1572 ; [441]
(33) Foulquet Sobolis, [327]
(34) Cité dans le feuillet de la direction générale de la prévention des risques consacré au séisme nissart, [380].
(35) Cités dans [380]
(36) Je ne prétends pas néanmoins avoir tiré cette conclusion d’une analyse exhaustive des écrits de l’année 1564 sur ce séisme, que ce soit en France ou à l’étranger. Mais les recherches faites sur internet, si elles ont permis de trouver de tels textes sur les autres tremblements de terre évoqués plus loin, n’ont pas parmis d’identifier un quelconque autre document sur celui-ci.
(37) Tremblement de terre advenu à Lyon le mardy vingtiesme jour de May mil cinq cens septante huict, peu avant les quatre heures du soir » ([444])
(38) « Les quinze signes … », Artus Désiré, 1587, [185]
(39) Pierre Fayet, [443] page 14
(40) Claude Haton [155] pages 973-975
(41) [446]
(42) Habitants de Ninive, ville assyrienne qui aurait été convertie par Jonas. Elle était située là ou aujourd’hui est Mossoul sur le Tibre.
(43) Comme le fera Artus Désiré dans l’extrait reproduit au §1 provenant de [185]
(44) Ville pour laquelle il mentionne la cathédrale : « en laquelle est bastie […] ceste sumptueuse Eglise en ce temps dediee à la vierge qui enfanteroit ».
(45) On ne peut ici ne pas se remémorer le « septième sceau » de Bergman, et sa cohorte de flagellants parcourant la campagne suédoise pour appeler le peuple au repentir avant l’arrivée de la peste noire.
(46) Il y avoit plus de trois cens persones vestus d’un linge blanc tout simple pardessus la chair nue, marchans à pieds nuds, les uns chargez d’une forte & massive piece de bois, &les autres d’une poisante barre de fer, crians miséricorde.
(47) Sans doute du fait des épidémies qui devaient se déclarer à l’issue de séismes entrainant un grand nombre de morts suite à la décomposition des cadavres qui ne pouvaient pas être enterrés suffisamment rapidemment.
(48) Claude Haton, [155], pages 1012&1013
(49) Cité dans la brochure éditée par la Direction Générale pour la Prévention des Risques  consacrée au séisme de Calais [379]
(50) Pierre Fayet, [443], page 18
(51) [371]
(52) [371]
(53) « Discours merveilleux et effroyable du grand tremblement de terre, advenu ès villes de Rouen, Beauvais, Pontoise, Mantes, Poicy, Saint Germain en Laye, Calais & autres endroicts de ce royaume avec le traité des Processions, & prières publiques qui ont esté faictes le Vi. Jour d’avril 1580 » ([371]) 
(54) Sur la voie du « pari » de Pascal …
(55) Jean Vogt dans [370] situe l’épicentre près d’Angers, avec une intensité un peu inéfrieure à VII.
(56) [356] in [248] pages 301-302
(57) Registre paroissial de Saint-Mathurin-sur-Loire, [381]
(58) Transcription de Mme. Odile Halbert, [381]
(59) Sans doute issu d’un manuscrit de la bibliothèque de la ville d’Angers : « Journal ou récit véritable de tout ce qui est advenu digne de mémoire, tant en la ville d’Angers, pays d’Anjou et autres lieux, depuis l’an 1560 jusqu’à l’an 1674, par Jean Louvet, clerc au greffe civil du siège présidiat dudit Angers. » - Voir [381]
(60) Barthelemy Roger, Histoire d’Anjou, page 447 – Manuscrit du XVIIeme siècle
(61) [378]
(62) Je me rappelle une discussion à l’institut Teillard de Chardin sur l’origine du monde pendant lequel un célèbre astrophysicien canadien, après avoir décrit comment à partir des lois physiques et de la valeur numérique d’une constante avait dit à son voisin jésuite: «  si Dieu existe, c’est dans cette constante, qui si, la valeur numérique était infiniment modifiée, le monde tel que nous le connaissons ne pourrait pas exister. »
(63) Lucrèce, « de rerum natura », V, vers 1169 - 1197
(64) [378]

 

 

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