A l'auberge |
Le XVe siècle, après la reconstruction qui avait suivi les guerres et les épidémies, avait vu une élévation générale du niveau de vie avec une augmentation concomitante de la population. Vers la fin du siècle, le niveau de vie devait atteindre un maximum qui ne sera égalé que plusieurs siècles après, vers la fin du XIXe siècle. Vers 1560, manger restait quelque chose qui rimait avec quantité. Dans ces mémoires(1), Claude Haton reproduit en appendice une ordonnance du roi datée du 28 janvier 1563 qui fixe le prix des denrées et des repas pour les « hosteliers, taverniers et cabaretiers(2) » dans la ville de Provins et les villages alentour. Les menus sont très détaillés, différenciant le dîner du souper, prévoyant ce qu’il fallait servir à un homme voyageant seul et à une troupe de six personnes, précisant ce qu’il fallait manger en période de carême et en période de charnage, et enfin détaillant le coucher ainsi que le traitement des montures des voyageurs. Ainsi, pour un « dîner » (déjeuner aujourd’hui), le menu pour un voyageur seul incluait la nappe, la serviette blanche, les autres frais de l’hôtelier et: |
Menu en période de Carême 5 sous |
Menu en période de Charnage 4 sous 10 deniers |
Un potage de pois Un fagot Une pinte du meilleur vin Un pain Un hareng blanc Un tronçon de carpe (celle estimée à 5 sous(3)) ou un tronçon de brochet (celui estimé à 8 sous(4)) Un plat de desserte (2 onces de bon fromage ou 2 onces de raisins ou 2 onces de figues,…). |
Un bon potage Une demi-livre de bœuf bouilli Une livre de mouton ou de veau rôti, ou de porc frais ou salé Un plat de desserte (une pomme et une poire, ou 2 onces de fromage, ou …) Un pain Une pinte de vin Un fagot |
Repas de noces – Pierre Brueghel l’ancien |
Pour le souper (et le coucher, celui-ci étant fixé à 12 deniers quand le passant ne voulait pas manger), les menus étaient les suivants: |
En période de carême 6 sous 6 deniers avec coucher, 5 sous 6 deniers sans |
En période de charnage 6 sous 3 deniers avec coucher, 5 sous 3 deniers sans |
Un hareng blanc ou saur |
Un potage |
On notera la quantité assez importante de viande qui était proposée, ainsi pour un repas en temps de « charnage » ce sont 750 grammes de viande qui devaient être servis ! Aussi étonnant que cela puisse paraître, le XVe a aussi été une époque de mangeurs de viande. Si la consommation de viande devait ensuite baisser, elle était encore importante dans les années 1560, au début des guerres de religion.
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Les voyages dans les Amériques commençaient aussi à changer les habitudes alimentaires, et s’il était encore sans doute trop tôt pour voir arriver sur les tables des gourmets les légumes ou la faune des pays lointains, leur connaissance se diffusait par le biais des récits de voyage. Ainsi on trouve dans l’ouvrage d’André Thevet, « Les singularités de la France Antarctique » ([221]) la description, entre autres, des noix de cajou et de l’ananas. En 1546, lors d’un banquet donné à Paris en l’honneur de Catherine de Médicis, soixante-six dindes furent servies, ces « grosses poules avec des plumes comme une sorte de laine », comme les décrivait Christophe Colomb lors de son premier voyage. Elles coûtaient huit fois le prix d’une poule. |
“Le fruit duquel plus communement ils usent en leurs maladies, est nommé Nana, gros comme vne moyenne citrouille, fait tout autour comme vne pomme de pin, ainsi que pourrez voir par la présente figure. Ce fruit devient jaune en maturité, lequel est merveilleusement excellent, tant pour sa douceur que saveur, autant amoureuse que fin sucre,&et plus. Il n’est possible d’en aporter par deça, sinon en confiture, car estant meur il ne se peut longuement garder.” [221] |
“Le païs est trop meilleur qu’il n’appartient à telle canaille:car il porte fruits en abondance, herbes&racines cordiales, avec grande quantité d’arbres qu’ils nomment Acaöus,portans fruits gros comme le poin, en forme d’vn oeuf d’oye. Aucuns en font certain bruuage, combien que le fruit de foy n’est bon à manger, retirant au goust d’vne corme demy peure. Au bout de ce fruit vient vne espece de noix grosse comme vn marron, en forme d’vn rognon de liure. Quant au noyau qui est dedans, il est tres bon à manger, pourueu qu’il ait passé legerement par le feu.” [221] : l’expédition française remonte le long des côtes du Brésil, et visite les îles des cannibales… (entre le cap Saint-Augustin et l’état de Marignan). |
On peut aussi citer un extrait de la relation de l’ambassade de Jerome Lippomano(11), ambassadeur de Venise auprès de la cours de France qui ne cache pas son étonnement devant les usages parisiens en termes de nourriture en 1577: «Paris a en abondance tout ce qui peut être désiré. Les marchandises de tous les pays y affluent: les vivres y sont apportés par la Seine de Normandie, d’Auvergne, de Bourgogne, de Champagne et de Picardie. Aussi, quoique la population soit innombrable, rien n’y manque: tout semble tomber du ciel, cependant le prix des comestibles y est un peu élevé, à vrai dire, car les Français ne dépensent pour nulle autre chose aussi volontiers que pour manger et pour faire ce qu’ils appellent bonne chère. C’est pourquoi les bouchers, les marchands de viande, les rôtisseurs, les revendeurs, les pâtissiers, les cabaretiers, les taverniers s’y trouvent en telle quantité que c’est une vraie confusion: il n’est rue tant soit peu remarquable qui n’en ait sa part. Voulez-vous acheter les animaux au marché, ou bien la viande; vous le pouvez à toute heure, en tout lieu. Voulez-vous votre provision toute prête, cuite ou crue; les rôtisseurs et les pâtissiers en moins d’une heure vous arrangent un dîner, un souper pour dix, pour vingt, pour cent personnes: le rôtisseur vous donne la viande, le pâtissier les pâtés, les tourtes, les entrées, les desserts; le cuisinier vous donne les gelées, les sauces, les ragoûts. Cet art est si avancé à Paris qu’il y a des cabaretiers qui vous donnent à manger chez eux, à tous les prix; pour un teston, pour deux, pour un écu, pour quatre, pour dix, pour vingt même par personne, si vous le désirez. Mais, pour vingt écus, on vous donnera, j’espère, la manne en potage ou le phénix rôti, enfin ce qu’il y a au monde de plus précieux. Les princes et le roi lui-même y vont quelquefois (comme avait coutume de faire le More quand il vivait) ». |
Mais dîner à l’auberge, cela n’était possible que pour ceux qui avaient déjà des revenus au-dessus de la moyenne, et ce n’était certainement pas le cas pour la foule des artisans, ouvriers ou employés de maison. C’est ce que nous allons essayer de quantifier dans ce qui suit. |
Mais avant de rentrer plus précisément dans la réalité des coûts, et dans le monde de ceux qui comptaient, il faut noter que la Renaissance a été aussi le retour d’un certain art de la table, manger devenait aussi un rituel, voire un spectacle dans l’ordonnancement rigoureux qu’un roi comme Henri III avait rétabli à la cour. Les maîtres de cérémonies étaient célèbres, comme par exemple Lancelot de Casteau, un Montois, qui fut maître-cuisinier de trois Princes-évêques successifs de Liège : Robert de Berghes, Gérard de Groesbeek et Ernest de Bavière. Il a publié en 1604 un réceptaire dont il ne reste qu'un seul exemplaire, témoignage de la gastronomie du XVIe siècle en Principauté de Liège ; l'ouvrage est le premier livre de recettes publié en français dans cette région et constitue le seul chaînon en langue française entre la cuisine médiévale et la cuisine classique du XVIe siècle. Sur la page suivante on a représenté le menu qu’il avait élaboré pour le banquet de l’entrée de monsieur « Robert de Berges, Conte de Walhain, Evesque & Prince de Liege, faict au pallais en Liege, l’an M.D.LVII. au mois de Decembre »: |
Pour le premier service.
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Second service.
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Troisiesme service.
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Quatriesme service.
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Notes | |
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(1) | [155], page 1117 et suivantes |
(2) | Hostelerie : logis garni que tient un hôtelier, où le voyageur et les passants sont logés et nourris. Cabaret : logis, maison où on donne seulement du vin à pot par un trou pratiqué dans un treills de bois. On trouve dans le dictionnaire cette savoureuse citation : « Une servante de cabaret n’avait pas possibilité d’attaquer en justice une personne qui en aurait abusée, la loi n’ayant pas jugé qu’une personne d’une condition si vile fut digne de ses soins. » Taverne : On y sert le vin « par assiette », et on y apprête à manger. |
(3) | Longueur de 12 à 14 pouces |
(4) | Longueur de 14 à 18 pouces |
(5) | = abats |
(6) | On considère que pour un cheval, il faut 6 kg par jour de foin, soit 1 s.t. et 1 l d’avoine, soit 0,15 sous ; pour la litière, on comptera 7 kg par jour, soit 0,35 sous ([Mme. Pelle, Le Val, 9/11/2013]). |
(7) | [257], et {5.9.2} |
(8) | [168], page 439 |
(9) | Un édit de 1563 régla le nombre de plats qui pouvaient couvrir la table : « Pour toute sortes d’entrées il n’y aura que six plats, en chacun desquels ne pourra avoir qu’une sorte de viande ; et ne seront lesdites viandes doublées, comme, pour exemple, ne se pourront servir deux chapons, deux lapins, deux perdrix. Quant aux poulets et pigeonnaux, se pourront servir jusques à trois, allouettes une douzaine, etc…. Le tout sur peine aux infracteurs et contrevenants de deux cens livres d’amende pour la première fois, et quatre cens pour la seconde, applicables par moitié à nous et au dénonciateur. » Jean Bodin précise que ce type d’ordonnances ne furent jamais pleinement en vigueur. ([168], page 439) |
(10) | Edouard de Laplane, [36], page 73 |
(11) | Jerome Lippomano, [344] pages 601-603. |
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